Et si le passage en 6ème était conditionné par un examen d’entrée ? Voici la dernière polémique lancée par le Président du Groupe UMP à l’Assemblée Nationale, Jean-François Copé. A l’heure où la réforme des retraites vient à peine d’être votée, dans le vent de contestation qu’on lui connait, force est de constater que les élus de la Majorité n’ont pas froid aux yeux.
Faut-il pour autant hurler de manière pavlovienne à la démagogie, l’inégalité devant l’éducation ou encore autres fadaises bienpensantes dont nous assomment certaines sommités de la gauche, bien assommantes à dire vrai ? Car il ne faudrait pas balayer la proposition de Copé d’un revers de main sous le fallacieux prétexte que c’est une idée de droite. Le jugement, hâtif, est tout ce qu’il y a de plus réducteur dans la conception de la politique, et pour le dire franchement, ce qu’il y a de plus consternant dans la lecture moderne de la politique, sachant, malheureusement que modernisme rime trop souvent avec manichéisme. Au nom de quoi la droite ne pourrait-elle pas se pencher au chevet de l’éducation nationale, agonisante, quand la Gauche préfère s’épancher sur les qualités d’un prétendu vil homme il y a peu, et mort pour le coup, George Frêche ?
Le raccourci est quelque peu médiocre, pensez-vous, mais il faut bien dire que la manie de gauche de s’emparer du dossier de l’éducation, en toute exclusivité, pensant être les seuls légitimes sur la question, tels leurs suppôts verts sur la problématique écologique, a de quoi agacer. Pour preuve, cette tribune écrite dans Le Monde le 15 mai dernier par Yves Durand et Jean-Marc Ayroult, députés pour le compte du PS, et envoyée aux professeurs qui débute par un stupéfiant et non moins arrogant : « il existe un pacte séculaire entre le projet socialiste et l’ ‘éducation’ » ? Ou de l’éternelle déclinaison de l’expression « djeuns » qui traduit si bien cette attitude : la gauche « se la pète ». Et pourtant, il est tout aussi clair que si l’école est souffrante, la gauche parait, elle, souffrir d’amnésie :
N’est-ce pas Jean-Pierre Chevènement qui décréta béatement qu’il fallait que 80% d’une classe d’âge soit bachelier en guise de démocratisation de l’éducation avec les conséquences désastreuses que cela a apporté notamment concernant l’enseignement professionnel ?
Ne serait-ce pas Lionel Jospin qui créa de toutes pièces les IUFM qui furent des outils de propagandes à pédagogoles qui permit de niveler le niveau vers le bas et d’abattre comme un tyran l’autorité qui fut travesti lexicalement en « autoritarisme » pour complaire les nostalgiques de ce que mai 68 a produit de pire, à savoir l’anarchie (car nul doute que mai 68 ait permis des avancées sociales autrement plus bénéfiques pour le pays) ?
Enfin, Jacques Lang qui demeure autant Ministre de la Culture à vie qu’ambassadeur des enseignants n’a-t-i pas inventé le concept « d’inertie obséquieuse », tout sucre tout miel, pendant que se sclérosait l’un des piliers de notre République ?
Un peu d’humilité donc. Même si la Droite est parfaitement responsable du pourrissement de la situation, fossoyeur d’exception, plaçant au sommet de l’Education Nationale un fantoche, simple spectateur de sa Majesté Sarkozy venue en personne vendre la réforme des lycées. Faut-il rappeler que ce n’est pas par Modestie, même s’il le vaut bien, que Monsieur Châtel ne met qu’en sous-titre « Ministre de l’Education Nationale » sur sa page quand trône avec majesté le glorifiant « porte-parole du Gouvernement » ?
Bref, la Gauche n’a, elle non plus, pas de leçons à recevoir, et de ce fait décrétons un statu quo : tout parti, démocratique et agissant pour le bien de la République a le droit d’émettre un avis ou une proposition afin de calmer les maux d’un malade dispendieux, car au-delà de 23% du budget national, l’on est en droit d’exiger un service public efficace et de qualité. Etudions donc la proposition de Monsieur Copé, qui s’expliqua par téléphone sur le plateau de l’Edition spéciale mercredi 28 octobre, sur Canal plus :
« L’idée est le résultat de l’observation. Aujourd’hui, lorsque l’on envoie un enfant qui sort de CM2 pour aller au collège et qui ne maîtrise pas les savoirs fondamentaux lire, écrire, compter, ça veut dire pour lui une perspective quasi assurée d’échec scolaire. Donc le principe, c’est de dire : « on n’envoie pas un élève de fin de CM2 au collège qui ne maîtrise pas les savoirs fondamentaux »
Et Jean-François Copé d’en expliquer les modalités :
« Comment le faire ? L’idée c’est de fixer un examen, pas du tout dans l’esprit du bac. Il ne s’agit pas de dire 80% ou 70% des enfants… Non. L’objectif c’est 100%. C’est-à-dire qu’il faut vraiment tout faire pour que l’enfant, avant d’entrer au collège, sache lire, écrire, compter, et puisse ensuite poursuivre sa scolarité. »
Résumons donc la première partie de cette intervention : l’un des moyens qui permettrait d’endiguer la vague vicieuse de l’échec scolaire (à savoir 20% d’illettrés en entrée de 6ème et autant d’élèves en échec en fin de 3ème) serait de ne faire accéder en 6ème que ceux qui auraient les bagages pour le faire. Soit. Reste à savoir que faire de ceux qui ne réussissent pas cet examen. Copé n’en parle pas. Ou plutôt n’en parle plus. Il préfère ne s’intéresser qu’à l’objectif de 100% de réussite. Pour autant, il avait déjà évoqué l’éventualité dans la matinale de France 2, Les Quatre Vérités, la veille :
On le voit, Copé a l’air gêné aux entournures. Il faut dire que l’idée du redoublement n’est en réalité pas un « intérêt » original... Mais l'originalité tient, comme on le verra, sur la refonte de l'organisation et du système.
Etudions donc en détail, et honnêtement, les tenants et les aboutissants de cette proposition.
Tout d’abord, il faut reconnaître à Monsieur Copé un certain courage : dans une thématique où la Gauche, comme nous l’avons vu, se reconnait comme un interlocuteur exclusif, et comme étant le seul à être légitime, il faut oser s’avancer de la sorte et proposer ce qui serait pour le coup un véritable changement. Et la position est d’autant plus audacieuse à mon sens qu’elle me rappelle un des points qui fut âprement négocié lors du Congrès programmatique du Mouvement Démocrate en Décembre dernier concernant justement le passage en sixième. Le texte définitif, amendé par Marielle de Sarnez fut celui-ci : « Notre ambition est forte : nous voulons que tous les enfants qui entrent en sixième sachent lire, écrire et compter ». Estimant que cet argument était trop consensuel avec ce que l’ensemble des autres partis avaient proposé depuis 30 ans et qui avait pourtant abouti à une inertie égale à ce sujet, la situation s’aggravant même, j’avais proposé l’amendement suivant : « Notre ambition est forte : nous exigeons qu’aucun enfant qui ne sache correctement lire, écrire et compter puisse entrer en sixième », ce qui nous aurait contraint à trouver des solutions pour impérativement atteindre le 100% au nom de l’égalité devant l’éducation. L’amendement ne fut pas retenu (et n’eut même pas la possibilité d’être défendu). L’esprit de la proposition de Copé va pourtant dans le même sens : contraindre l’école de trouver des solutions et contraindre l’élève à u avoir un bagage minium pour ne pas le condamner de facto à un échec programmé.
La proposition de Copé rappelle aussi ce post de Blackangel59, qui utilisa mes colonnes pour évoquer le cas du Cameroun, d’où il était originaire, où existe encore le concours d’entrée en 6ème, dont il dit qu’il est « un programme difficile mais [qui a] fait ses preuves ».
En réalité, l’argument de la « pression » exercée sur des élèves de 10 ans ne tient pas :
Chaque année le passage étant en jeu, la pression est constante. Dans le cadre de l’examen d’entrée en sixième, la pression serait repartie bien au contraire sur plusieurs années, de quoi construire un parcours, là où aujourd’hui on se remet en question tous les ans. Dans cette nouvelle organisation, les années de CM2, 3ème et de Terminale correspondraient aux paliers décisifs : un parcours primaire de 5 ans (CP, CE1, CE2, CMA & CM2), de 4 ans pour le collège (6è, 5è, 4è & 3è) puis de 3 ans pour le lycée (2nde, 1ère et Terminale) : qui pourrait rêver de parcours plus progressif ?
Cela présenterait aussi l’avantage de régler une fois pour toute le redoublement, taxé tour à tour d’inefficace, d’inégalitaire et couteux. Tous ces arguments tomberaient et trouveraient enfin une réponse : un redoublement unique en fin de cycle en CM2, 3ème ou Terminale.
Reste à savoir ce qui adviendrait de ceux qui échouerait à répétition. Car ce que la proposition de Copé occulte, et ce n’est pas là la moindre des difficultés, quid du collège unique ? Il a tout son sens pour ceux qui ont passé et donc réussi l’épreuve d’entrée en 6ème mais que faire des élèves qui échoueront une deuxième fois ? Les faire rester en CM2 jusque 17 ans ? Les intégrer malgré tout au collège, ce qui démolirait l’ambition et les effets attendus d’une telle proposition ? Créer une autre filière ? On le voit, la solution est loin d’être limpide.
Enfin il convient aussi de s’assurer des moyens mis en œuvre afin d’aboutir au miraculeux 100%. Et cette fois-ci, Copé est beaucoup moins convaincant :
Et l’on en revient alors à la « solution miracle » que représente l’accompagnement éducatif et l’aide individualisée qui ne sont que des pansements et non des remèdes. Et que dire encore de cette proposition qui fait du Directeur d’école le « patron » (terme malheureux s'il en est concernant l'école...) et qui recruterait lui-même son équipe pédagogique, reprenant en chœur la proposition très contestable du HCE que j’avais déjà débattue ici même.
On le voit, encore une fois, la solution miracle n’existe pas. Et ce n’est pas un examen qui règlera à lui seul la question de l’échec scolaire, celui de l’accompagnement des parcours ou encore sur le caractère égalitaire d’un système qui n’oublierait personne. Pour autant, s’accompagnant d’autres mesures, fondées notamment sur la pédagogie et la liberté pédagogique du professeur en réponse aux besoin de son public, avec une formation qui est à créer et à repenser en profondeur et qui nécessite donc d’autres idées lumineuses, et en repensant l’organisation du système scolaire sans donner les pleins pouvoirs au principal ou au directeur, ce qui placerait l’enseignent pourtant acteur principal dans la transmission des savoirs en faire-valoir et en simple pion, l’idée de Copé pourrait largement trouver sa place et donner de la clarté à un système opaque et qui n’a pas viré sa cuti concernant le redoublement. Il faudrait alors enfin reposer la problématique du socle commun pour qu’il ne devienne pas, comme c’est le cas actuellement, un fourre-tout à compétence qui forge un savoir minimum quand il devrait être l’outil recensant les savoirs et les connaissances qui construisent un savoir minimal. Et pour ce faire, la stratégie du slogan peut s’avérer gravement inefficace, et pourrait même à terme nuire à la santé de notre école publique, déjà valétudinaire.