Vincent Peillon et François Hollande lors d'une visite à Trappes, le 3 septembre 2012 (T.CAMUS/AFP).
Mais pourquoi François Hollande avait-il prévu de faire son discours pour l’école le jour même du vote de la ratification du traité européen ? S’il voulait masquer ce chantier pourtant essentiel pour l’avenir, nul doute qu’il ne s'y serait pas pris autrement.
Pourtant, le Président l’a rappelé, l’école c’est l’essence même de notre nation, et sa maladie, maintes fois diagnostiquée, affaiblit nos forces vitales :
"Chaque fois que cette Education Nationale connaît un échec, subit une agression, peine à atteindre ses objectifs, c'est tout le pacte républicain qui est mis à mal."
Des premières décisions décevantes
Lors de la campagne présidentielle, j’avais sévèrement jugé la partie congrue réservée à l’éducation par le futur président, lui qui s’était contenté de radoter sous la forme d’un gimmick la création de 60.000 postes supplémentaires, évoquant de manière évasive une refondation de l’école urgente par la grâce d’un Vincent Peillon aussi abstrait qu’impressionniste dans ses objectifs.
La gauche semblait à nouveau se complaire dans la dépense publique avec la création de postes en réponse pavlovienne après dix ans où la droite s'était évertuée à supprimer des postes par pure idéologie.
La concertation lancée cet été avait accouché en début de semaine d’un rapport, baptisé avec force et volontarisme "Refondons l’école de la République". Qu'en a retiré le président de la République ? Force est de constater que tant sur les objectifs que sur l’art de la synthèse, dont il s’est pourtant fait plus une spécialité, et même une réputation, François Hollande a déçu.
Concernant les premières décisions d’importance, le président a rappelé son "plein accord au projet d’enseignement de la morale laïque", tout en précisant que "la première vocation de l’école c’est de transmettre un savoir, une connaissance". Ces deux points en guise de préambule pourraient sonner comme autant de truismes puisque l’on va à l’école pour apprendre et que l’école est gratuite et laïque depuis Jules Ferry.
Un manque de précision
Mais celui qui n’a pas suivi précisément le parcours chaotique de notre chère Éducation nationale depuis 30 ans ne peut comprendre en quoi ces rappels sont essentiels dans la marche à suivre. Surtout quand on sait que les affaires de signes ostentatoires qui ont réussi à troubler l’équilibre républicain, bien aidé par le Conseil d’État qui s’était plus que fourvoyé dans l’affaire de Creil en 1989, avaient contraint l'État à légiférer en mars 2004.
Surtout quand on sait combien la transmission du savoir était devenue polémique, les "pédagogistes" préférant noter les savoir-faire, et envoyant aux reliques les connaissances qu’ils entendaient circonscrire aux bibliothèques bourgeoises, au même titre que l’orthographe, rebaptisé "science des ânes" par leurs ayatollah dans les formations de l’IUFM auxquelles j'ai pu assister.
Ces instituts de formation justement, qu’il fallait réformer mais que la droite a décidé avec une crasse bêtise de supprimer, privant les primo arrivants d’une formation digne de ce nom, mais dont le retour, sans ajustement, planait telle une épée de Damoclès. Et sur ce point, François Hollande s’est montré clair… sans être pour autant précis :
"ll ne s'agira pas de revenir aux écoles normales, pas davantage aux IUFM. Nous allons faire du neuf : avec les écoles supérieures du professorat et de l'éducation, autour de l'idée de la professionnalisation."
Pas d’IUFM mais des ESPE. Mais qu’entend-il par l’idée de professionnalisation ? Le président évoque bien des stages plus spécifiques et s’il entend conserver le concours comme seul accès à la profession (et le monde de l’Éducation peut respirer), il propose d’y intégrer l’évaluation des savoir-faire. Mais pour quelle part ? Et quid de l’évaluation de "la motivation et des qualités nécessaires au métier" évoquées dans le rapport remis ?
Peu de propositions sur la crise des vocations
De la même manière, on peut légitimement parler de flou artistique concernant le recrutement de 10.000 enseignants par an, malgré un questionnement salutaire : "Qu’est ce qu’une nation (…) qui décourage les vocations ? Ça ne peut être la France".
Le verbe est de qualité, mais les réponses apportées ne sont pas à la hauteur, loin s’en faut. Car pour endiguer la crise des vocations, qu’a-t-il d’autre à proposer que 6.000 "emplois Avenir Professeur" pour créer un pré-recrutement ?
Encore prend-il la peine d’éviter de dégoûter les futurs postulants en promettant d’améliorer leurs conditions d’entrée dans le métier. Mais en quoi la création de postes amènent-elle l’accroissement d’une vocation ? Le nombre de candidats aux concours ne permet déjà plus de pourvoir les postes proposés notamment en mathématiques, alors en quoi 6.000 postes de plus aideraient à l’affaire ? En quoi rassureront-ils celui qui voit, depuis le début de l’année, une violence redoublée à l’égard des enseignants et qui trône avec majesté à la une de tous les JT vespéraux ?
D’ailleurs, concernant cette violence, François Hollande reste avare en propositions se contentant de rappeler la création déjà effective d’assistants de prévention et de sécurité, et qui visiblement ne sont pas encore opérationnels à suivre l’actualité. Le président promet : "Mais l’État devra répondre à cette menace de la violence". Oui, Monsieur le Président, elle le "devra" surtout quand il ne s’agit plus de menace mais de passages à l’acte concrets…
Une vision du redoublement incohérente
Mais plus grave encore, certaines orientations dévoilées ne sont pas seulement opaques : elles apparaissent d’emblée comme nocives, certaines ayant déjà fait la preuve de leur inefficacité, voire leur dangerosité.
Ainsi, François Hollande dit faire sienne la proposition du rapport visant à "remplacer le redoublement" et que lui résume en "le nombre devra être réduit". Ce postulat purement idéologique est fondé sur une mauvaise analyse et, plus grave, relève d’une profonde incohérence.
L’erreur vient du fait de continuer à faire croire que l’on redouble en France alors qu’en réalité, on redouble de moins en moins, et notamment au collège. En 2012, une classe de 6e compte un, tout au plus deux élèves ayant une année de retard. Nous sommes donc loin du fantasme qui impose tel un cliché.
La motivation des détracteurs du redoublement est que ceux qui redoublent réussissent moins que les autres, ce qui est un pléonasme, puisque l’élève qui a redoublé a le plus souvent des difficultés pour comprendre ou assimiler. Et surtout, le constat oublie tous ces élèves qui ont une maturité moins précoce que la normale et qui ont besoin de davantage de temps pour comprendre les choses.
Pourquoi ne pas respecter leur rythme d’apprentissage, alors que l’on ne cesse par ailleurs de nous rabattre les oreilles avec les rythmes scolaires, histoire de réduire les vacances de ces "feignasses de profs" ?
Il veut concilier les opposés
Autre orientation mortifère, celle de l’évaluation telle qu’elle se pratique et qui est qualifiée de "notation-sanction". Le rapport préconisait littéralement de l'abolir quand François Hollande demande lui de la diversifier. Mais au nom de quelle idéologie changerait-on la notation sinon à vouloir créer un énième placebo pour casser le thermomètre et pour tenter de faire croire que "tout va bien Madame La Marquise" ?
Quand la note est mauvaise, ce n’est pas le système qui est défaillant mais l’apprentissage ! On confond les causes, les conséquences et les moyens.
Cette folle dérive nous a déjà amené la note de vie scolaire au collège, qui vaut chaque trimestre pour une moyenne équivalente au français ou à l’anglais. Ou encore le socle des savoirs et des connaissances, qui tente de remplacer les notes même si on entend le contraire et qui est loin d’être compréhensible pour les parents, critère qui semble motiver la volonté des rapporteurs du rapport de faire la peau à la note sur 20.
La réalité, c’est que François Hollande a fait une synthèse absconse en ce qu’elle semble vouloir concilier les opposés : d’un côté, il réaffirme que la mission première de l’école est la transmission des savoirs, et de l’autre, il n’entend les évaluer que de manière positive. Ou comment réconcilierPhilippe Meirieu et Jean-Paul Brighelli.
On ne peut pas avoir une exigence forte d’un côté et un laxisme pour masquer les insuffisances de l’autre. La tentation de l’évaluation de type "école des fans" aboutit aujourd’hui à la création de cours d’orthographe et de syntaxe dans les IUT faute d’un niveau de maîtrise suffisant de la langue.
Les responsabilités des élèves occultées
Le rapport remis à François Hollande, et qu’il a finalement accepté sans broncher, occulte pourtant une donnée fondamentale : il accable l’école, son système, son fonctionnement, trouvant des circonstances atténuantes, mais oublie que la principale raison de l’échec scolaire est l’absence d’apprentissage pur et simple.
Les responsabilités de l’élève sont complètement occultées, et seule l’école, ce grand mot tiroir où l’on range tout son linge sale, devient l’unique et seule coupable.
On n’apprend plus le calcul mental parce que c’est trop contraignant et parce que l’on a machines capables de le faire, elles qui ont été conçues par des ingénieurs qui eux ont les bases et qui exploitent la misère intellectuelle de ceux qui ne les ont pas. Cynisme d’un cercle vicieux qui fait du savoir le cadet des soucis de l’Éducation nationale.
Ainsi, on remet en cause cette autorité du savoir du professeur en dénonçant "une pédagogie frontale traditionnelle" en regardant du côté de la Finlande et en oubliant que le 2e pays le plus performant en matière éducative est la Corée qui pratique une pédagogie complètement inverse.
Les équipes pédagogiques affaiblies
Après avoir fait tant d'efforts pour cacher l’absence de savoir, voilà que l'on pense donc désormais à abolir les notes. Et pourquoi alors ne pas donner aussi aux parents la possibilité "d’avoir le dernier mot" en termes de passage et d’orientation y compris en classe de seconde, comme le préconise le rapport ?
Ou comment véritablement enlever tout moyen aux équipes pédagogiques de mettre à profit leur expertise et les priver de toute autorité puisque leurs décisions sont assimilées à de l’autoritarisme...
Alors François Hollande a beau jeu de déplorer que l’école ait été tellement "affaiblie dans ses prérogatives". Mais pourquoi n’a-t-il pas eu le courage de s’opposer à certaines préconisations ? Pourquoi aussi en avoir adoptées certaines tout aussi mortifères ?
Le retour aux neuf demi-journées au primaire, l’enseignement de la morale laïque ou la volonté, ô combien nécessaire, de rendre pérenne les contrats des personnels non enseignants qui accompagnent les élèves handicapés ou en grande difficultés aux côtés des professeurs, ne suffisent pas à faire de cette refondation de l’école "façon François Hollande" une réussite programmée.
Bien au contraire, les orientations du président amènent davantage d’interrogations et d’inquiétudes que de promesses pour l’avenir.