21 avril 2002. Voilà quinze ans que cette date sonne comme un cauchemar que tout le monde voudrait oublier. Que n'a-t-on entendu à son sujet, à l'endroit, comme à l'envers. Il y a 15 ans, comme beaucoup de citoyens, j'étais dans la rue. Abasourdi.
J'avais voté, alors, Lionel Jospin, malgré mes nombreuses réticences. L'ancien Premier Ministre avait mis en brèche la laïcité dans l'affaire du voile de Creil. Puis violenté les enseignants, devenus depuis des cibles choisies par la société pour expliquer tous ses maux, par la virtuosité empoisonnée de Claude Allègre. Enfin, sa désinvolture lors de la loi du PACS avait montré que l'homme ne mettait décidément pas ses convictions religieuses dans sa poche.
Qu'importe. Il fallait alors choisir. Utilement. Pour faire le « moins mauvais » choix possible.
En vain.
Sa campagne fut un chemin de croix, qu'il a lui-même composé, entre son annonce de candidature par fax, en passant par ses excuses maladroites après avoir légitimement taclé Chirac sur son âge et son inaction. La sentence est tombée. Presque logiquement.
Pour autant, voir l'homme du « détail » le battre pour accéder au second tour fut comme un séisme, dont les rues de France ont pu constater les répercussions. Des millions de citoyens, battent alors le pavé, pour expliquer que la France n'était pas cela. Marine Le Pen confiera qu'à l'époque, sa famille ne s'attendait pas à cela et qu'ils l'avaient vécu comme une gifle.
Quinze ans plus tard, sa fille, l'héritière accède à son tour à une marche du trône. Dans une indifférence quasi générale. Quelques jeunes – et l'on ne parlera pas des barbares qui ont saccagé la place de la République – expriment leur incompréhension face à cette forme de résignation. Avec ce constat ahurissant : plus personne ne semble choqué de voir le Front national à la porte du pouvoir.
Que s'est-il passé depuis 15 ans ? Où sont passés ceux qui descendaient dans la rue et qui, aujourd'hui, regardent leur téléviseur, en se satisfaisant de voir un véritable défenseur de la République lui faire face ? Se serait-on véritablement résignés ?
Assurément. Beaucoup évoquent la dédiabolisation du FN, orchestrée par Marine Le Pen et parfaitement reprise par les médias, qui aurait fait ses effets. C'est en partie vrai. Et l'on ne reviendrait pas sur les démonstrations admises qui font pleinement sens. Mais cela n'explique pas tout.
Engagé en politique en 2008, j'ai très vite engagé mon combat dans la lutte contre les extrêmes et tout particulièrement contre l'extrême droite. L'accession de Marine Le Pen a suscité en moi l'envie de décrypter le discours pour y faire apparaître la simple vérité, depuis sa laïcité déguisée jusqu'à sa xénophobie ripolinée. D'articles en conférences, je déclinais son programme, sans nécessairement revenir au paternel, mais bien pour scruter les nouveaux oripeaux dont se revêtait le FN.
Mais la réalité fut dure, comme impossible à tordre : même avec la plus grande des pédagogies, en tenant bien de différencier le FN de « Jean-Marie « de celui de « Marine », en démontrant chiffres à l'appui l'inanité de ses propositions, la dangerosité de ses prises de positions, la tartufferie de ses prétendus grands principes, vous ne parvenez qu'à convaincre... les convaincus.
Les électeurs du FN n'ont pas attendu la déferlante Trump pour pratiquer l'alternative facts. Aucun argument, aucune décision de justice, aucun chiffre ne font foi à leurs yeux. Leur conviction est telle que n'importe quelle source est contestée. Historiens, Juges, Economistes, spécialistes de la laïcité, experts, tous sont ramenés à leur prétendue subjectivité. Comme Saint Thomas, ils ne croient que ce qu'ils peuvent voir. Et même quand ils voient, ils accusent la lumière de les aveugler volontairement.
Scrutin après scrutin, discussion après discussion, témoignage après témoignage, la résultat fut le même : une progression des idées du FN et une crédibilité renforcée. Au point de penser même que plus le décryptage était présent, sur le terrain et dans les médias, plus sa crédibilité grandissait, les complotistes étant aussi de la partie.
Alors, oui. Quinze ans après le 21 avril 2002, ceux qui étaient dans la rue, sont aujourd'hui résignés. Lassés de se battre contre des moulins, puisque la vérité et la raison sont une monnaie de singe pour ceux qui continuent de défendre l'indéfendable.
Aujourd'hui, il n'existe qu'un seul antidote contre le FN. Un seul. Celui qui consiste à proposer des idées qui fonctionnent, une politique qui ne dessert personne, un fonctionnement qui rayonne dans la justice. C'est en diminuant les inégalités, en rendant au fruit du travail sa valeur, en mettant l'éducation au cœur de nos valeurs, et en appliquant une laïcité sans faille, sans donner l'impression d'un deux poids deux mesures, que la misère qui ravit les papilles du FN, véritable terreau dont se nourrissent leurs racines qui se complaisent dans la fange et les caniveaux de la République, que l'extrême-droite sera privée de son oxygène.
La réussite à tout prix. Ni plus. Ni moins.