En déambulant dans les rues de Lille, une vitrine m’a clairement attiré l’œil. La mode est au vintage dit-on. Et il n’y a pas que les magasins de vêtements qui semblent faire leur meilleur soupe dans de vieux pots. Observez plutôt :
La vitrine de Sylvain
En gros plan
Les néophytes ne verront assurément pas l’intérêt d’un tel cliché : des livres, parfaitement ordonnés, dans une étagère, au fond d’un salon studieux qui fleure bon l’effort intellectuel. Mais les habitués des salles de classe, spécialisée en Lettres auront noté un hic : tous ces beaux livres datent. Et datent beaucoup : Parcours méthodiques, Lettres Vives, Texto – Le français en séquence, Grammaire & Expression… Tous ces ouvrages ont vécu leur temps puisqu’ils datent de… 1997 ! 13 ans ! Si bien que pas moins de deux refontes des programmes sont intervenus entre temps ! Deux réformes, sans que cette boutique de soutien scolaire ne modifie ses supports pédagogiques. Etonnante démarche, de la part d’un commercial qui prétend apporter méthodes et rigueur aux élèves en difficulté.
Rajoutons à cela que l’expertise humaine est-elle aussi sujette à caution : les intervenants étant payés 14 euros brut de l’heure, soit 2,5 fois moins qu’une heure supplémentaire payée par l’Education Nationale, les candidats certifiés (détenteurs d’un CAPES) ou les agrégés (qui eux sont payés 4 fois plus en heures supplémentaires) ne se bousculent pas au portillon de ces aides scolaires.
Aussi quand ces derniers entendent pallier ce que les carences que l’école s’évertue prétendument à démultiplier, osons dénoncer le vice caché. Ne nous étendons pas outre mesure sur la banderole brandie par le leader du marché, Acadomia, qui ose proposer le remboursement aux lycéens en Terminale qui ne seraient pas devenus bacheliers à l’issue de l’année. « BAC satisfait ou remboursé ». Avec un taux nationale de réussite au Bac aux alentours de 86%, et des mentions à la pèle, sans compter ceux qui parviennent à dépasser la moyenne exorbitante de 20/20 (sic) par le jeu des options, l’opération marketing a de longs jours devant elle.
Il faut dire que le sujet est sensible. A l’heure où l’on rabote sévèrement le budget des Français, en prétendant penser aux pauvres quand on supprime l’avantage fiscal des jeunes mariés, il est étonnant que le Gouvernement se refuse à revenir sur la niche fiscale que représente ces soutiens scolaires : 50% des heures payées bénéficient réduction fiscale pour un coût total à la Nation de 300 millions d’ euros… quand le budget de l’Education Nationale représente déjà 23¨% du budget, ce qui en fait devant la dette le premier pôle de dépense ! Certains ont bien essayé de s’attaquer au phénomène : Fin 2009, pendant l’exa men de la loi de finances pour 2010, le député UMP Lionel Tardy déposait un amendement visant à supprimer ce crédit d’impôt, rappelant que l’aide fiscale avait raté son but comme l’explique parfaitement Pierrick Prévert, militant à CAP21 : « cette aide fiscale a complètement raté son but : elle n’a ni favorisé l’accès au soutien scolaire à domicile, ni amélioré la qualité de l’offre — on le voit encore aujourd’hui — ni baissé le coût de l’aide scolaire.
Bien au contraire cette niche fiscale (…) a permis à des familles n’en ayant pas réellement le besoin de bénéficier d’un coup de pouce et aux sociétés privées d’augmenter leurs tarifs et d’étouffer les offres des organismes à but non lucratif. »
Pour autant l’amendement, d’abord voté, a finalement été rejeté, les lobbys de soutiens scolaires pouvant compter sur d’autres soutiens de poids, cette fois-ci : Christine Lagarde, Ministre de L’Economie, de L’Industrie et de l’Emploi, et Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat à l'Emploi auprès de première citée au nom du développement du service à la personne afin d’endiguer le chômage… Service à la personne qui a bond dos, puisqu’à défaut d’enseignants motivés par la faible rémunération (non déduite, en outre, des impôts, elle !), ce sont des étudiants en Licence qui jouent au professeur à domicile… main d’œuvre non comptabilisée parmi les actifs et donc qui n’influent en rien les chiffres du chômage… Tout juste, le plafond des déductions fiscales a-t-il été ramené de 20000 ( !!!!!!!!) à 3000 euros par an. Par de quoi modifier la donne ou cesser la faillite des caisses de l’Etat.
Ce cadeau fait aux enseignes de soutien scolaire est d’autant plus paradoxal à l’aune des propos tenus par Luc Châtel lors de son discours de rentrée 2010, qui scandait que l’objectif principal de l’Education Nationale était de s’adapter aux élèves et de résorber les difficultés scolaires : « Mais, précisément, dans cette société de la connaissance, nous avons besoin d’une École qui soit en mesure d’évoluer, d’innover, d’expérimenter pour mieux répondre à sa mission : assurer la réussite de chaque élève. D’une École capable de s’adapter en permanence aux besoins des élèves qui lui sont confiés. Car, si j’ai une conviction, c’est que notre École a moins besoin de "grand soir" que de petits matins quotidiens. » Il avait oublié de préciser que ce n’était pas les accompagnements éducatifs mis en place qui allaient parvenir à l’objectif mais que l’Education Nationale allaient sous-traiter l’affaire par des entreprises privées… Reste à savoir si les enseigne de soutien scolaire serviront des croissants les petits matins quotidiens… Avec la certitude toutefois de ne pas avoir de "grand soir"… et pour cause : les professeurs sont en réalité des étudiants !
Toujours plus surprenant, quand on sait en outre, que la CNIL a récemment mis en exergue des pratiques qui se sont révélées être en totale contradiction avec l’éthique, la morale et la pédagogie, comme ce rapport suite à une enquête sur les dossiers « élèves » tenus par Acadomia qui relève « de(s) milliers de commentaires excessifs, voire injurieux, tels que 'gros con', 'cancer du poumon tant mérité' ou encore 'élève retourné en prison'", précise la CNIL. La Commission a pu aussi lire des expressions comme "mère salope", "gros crétin", "saloperie de gamin" ou "Parisien frustré", "sent le tabac et la cave". Sans occulter les informations à caractère intime sur la santé des clients tels que : "hospitalisé en urgence pour une tumeur cancéreuse au cerveau de grade 3".
Non respect de la personne, de son intimité, de son intégrité, méthodes archaïques dispensées par un personnel non formé et mal payé, publicité outrageuse et outrancière, enrichissement sur le dos des contribuables…
Et pourtant le soutien scolaire continue de fleurir et d’avoir pignon sur rue.
C’est à se demander si Profadom, Sylvan ou Acadomia n’ont pas raté leur vocation : à défaut du soutien scolaire, n’auraient-ils pas mieux fait de se faire baptiser « soutien financier » ?