"Peut-être que la seule manière de faire bouger les choses est d’employer la manière forte".
"La grève est une possibilité".
"Nous avons toujours souhaité constituer une voix pour nous représenter. Malheureusement, ça ne s’est encore pas fait".
"Malgré nos protestations, rien ne change".
"Ce n’est pas la première fois que l’on tire la sonnette d’alarme. Cela fait trente ans que nous répétons les mêmes choses".
Usine Toyota d'Onnaing - 2008 - Baziz Chibane/SIPA
Mais qui sont ceux qui protestent avec tant de véhémence, au bord du désespoir, au sommet de l’exaspération, à deux doigts de tout bloquer et dont on dit également : "Ces gars-là ont un pouvoir de pression énorme, croyez-moi" ? Serait-on à la sortie d’une usine de Picardie, enfumé par des pneus en flammes ? Des drapeaux rouge et jaune flottent-ils dans l’air sombre de la colère ? Mélenchon ou Besancenot (sorti de sa retraite pour dire que Philippe Poutou était le candidat de NPA et que sa non-candidature montre qu’il n’a pas "personnalisé le job"… Le tout en prime le dimanche midi sur Canal, pendant que Poutou, le vrai, le seul candidat, doit certainement déguster son poulet dominical en famille) sont-ils attendus pour soutenir ces travailleurs qui expriment leur désarroi ?
Que nenni.
Certes, ces protestations sont exprimées devant des centaines de micros. Mais point de responsables politiques aux environs. L’atmosphère est feutrée, la moquette épaisse, et des serveurs viennent rafraîchir et soigner à coups de serviettes éponges les orateurs. Sitôt leur vindicte énoncée, ils s’en iront toucher leur chèque à 5 ou 6 chiffres, suivant les semaines. Pour s’engouffrer dans une berline aux vitres teintées rejoindre leur suite dans les plus beaux palaces que les capitales mondiales offrent à leurs collègues.
Qui sont ces contestataires ? Les meilleurs joueurs de tennis de la planète, pardi !
Sous un titre rouge, intitulé "La grogne", Tennis Magazine offre un éclairage sur le ras-le-bol des meilleurs joueurs du monde, qui menacent à tout bout de champ de faire grève. Et les plus bruyants ne se situent pas dans le ventre mou du classement, où grouillent ceux qui y regardent à deux fois avant de faire la tournée américaine, pour voir si le séjour ne leur fera pas perdre de l’argent, eux qui jouent la peur au ventre, puisqu’un coup de raquette fixe la différence entre le déficit et le solde positif.
Très loin de ces considérations, nos puissantes orgues ne sont autres que trônent en majesté au sommet de la hiérarchie. Dans l’ordre de leurs citations : Rafael Nadal, 2ème mondial et ex n°1, Andy Murray, 3ème mondial et le plus virulent de tous, Andy Roddick, 14ème mondial et ex n°1, Roger Federer, 4ème mondial, ex n°1 et considéré par beaucoup comme le meilleur joueur de tous les temps, et enfin Jim Courier, aujourd’hui à la retraite et ex n°1 mondial. Quant à celui qui estimait qu’ils avaient beaucoup de pouvoir, il fallait reconnaître… Pete Sampras, l’homme qui fut le plus longtemps n°1 mondial, une semaine de plus que Roger Federer. Rien que cela.
Rafael Nadal - Masters de Shangaï 2011 - Alexander F. Yuan/SIPA
L’objet de leur ire ne date pas d’hier. Elle porte sur le rythme, jugé infernal, de la saison tennistique : elle débute dans les terres australes alors que le Nouvel An n’a pas été fêté et se termine mi-novembre pour une majorité des joueurs, et fin novembre pour les 8 meilleurs qui s’affrontent aux Masters, voire début décembre pour les finalistes de la Coupe Davis.
Le tout est épicé par l’obligation de participer à certains tournois pour préserver son classement. Tennis Magazine rappelle les obligations des joueurs dans son numéro d’octobre : ils doivent obligatoirement disputer les 4 tournois du grand chelem, les 8 masters 1000 et 4 tournois de catégories inférieures, ainsi que le Masters s’ils sont qualifiés. Soit au total 16 ou 17 tournois obligatoires, dont 6 s’étalent sur deux semaines, ce qui fait au final 23 semaines de compétition en dehors de la coupe Davis.
Toutefois, Tennis magazine rappelle que les joueurs modernes ne sont pas forcément ceux qui jouent le plus : Nastase en 1973 avait joué 131 matchs. 85 pour Mc Enrœ en 1984, 88 pour Sampras en 1995, contre 80 pour Federer en 2004 et 81 pour Nadal en 2010. Alors certes, les efforts sont plus intenses en 2011 qu’en 1973, mais rappelons que les matchs sont tous joués en 2 sets gagnants à l’exception des grands chelem et de la Coupe Davis : à l’époque, on jouait au moins la finale au meilleur des 5 manches dans pratiquement tous les tournois.
Pour autant, le nombre de blessures est important, et on déplore davantage d’arrêts de longue durée (Del Potro vainqueur de l’US Open en 2009 et auteur d’une année quasi blanche en 2010). Deux problèmes surviennent alors, tous deux liés à l'argent :
1. L'organisation même des tournois, et notamment de l’US Open, fait enchaîner par exemple les demi-finales et les demi-finales sur deux jours, car comme le rappelle Federer, ils "placent l’audimat au-dessus de toute autre considération". L’appât du gain donc.
2. Le déroulement de l’année pourrait être revue, ce qui selon Murray ne serait pas si difficile : "Le calendrier est bordélique. Nous voulons le changer. Pas grand-chose mais au moins deux ou trois semaines dans l’année. Je ne crois pas que ce soit trop demander". L’ATP, l’association des tennismen professionnels, a déjà fait quelques efforts mais pas suffisamment. Pourquoi ? Parce que cela reviendrait à réduire le nombre de tournois et donc à en annuler quelques uns, ce qui aurait des conséquences économiques énormes sur les sponsors, les organisateurs et même les villes qui les accueillent. Une affaire de gros sous encore.
Mais là où le bât blesse, c’est que les joueurs semblent dire que le nerf de leur guerre contre le calendrier c’est l’argent… Celui-là même qui les rend co-responsables de la situation dans laquelle ils se trouvent. Et les preuves s’accumulent pour faire de leur revendications une crise de mauvaise foi propre à révolter le citoyen lambda.
Ce qui fait dire à David Lloyd avec justesse : "Normalement, vous faites grève parce que vous ne gagnez pas suffisamment d’argent ou parce que vos conditions de travail ne sont pas bonnes. Or, les joueurs évoluent dans les plus beaux endroits du monde, sont conduits en Rolls-Royce depuis l’aéroport, sont hébergés dans des hôtels 10 étoiles et sont payés des fortunes. Je n’ai aucune compassion envers eux."
Ainsi faut-il rappeler que les engagements obligatoires des joueurs ne sont pas qu’une question de points et de classement. Comme le rappelle Tennis Magazine, "s’ils remplissent cet engagement, ils empochent un bonus appréciable : 2 millions de dollars pour le n°1 mondial, 1 million de dollars pour le n°2, 625.000 dollars pour le n°3, et ainsi de suite jusqu’au numéro 12. S’il leur manque un Masters 1000, le bonus passe à 1,6 million de dollars pour le n°1, etc."
Il suffirait que les joueurs acceptent de jouer moins, pour se préserver davantage
De la même manière, la remarque d’Andy Murray lors du dernier US open, bousculé par la pluie et par un sens de l’organisation inepte propre aux Américains, et dont les rentes publicitaires il est vrai l’emportent sur l’équité sportive et la récupération des joueurs, a de quoi laisser perplexe : "S’il l’on joue un jour de plus, alors nous devrions être augmentés en fonction, car c’est un jour de travail en plus"…
Rappelons que Djokovic, vainqueur de l’US open, a remporté la modique somme de 2,3 millions de dollars pour sa victoire… Et il voudrait être payé davantage pour être resté une journée de plus à New York ?
Mais voilà la véritable problématique : les joueurs sont-ils eux aussi prêts à gagner moins d’argent pour jouer mieux ? Ou pour ne pas se blesser ? À regarder de plus près le comportement de ceux-là mêmes qui se plaignent, on peut en douter.
Ainsi Rafael Nadal a-t-il rendu publique, le 13 octobre dernier, sa volonté d’aller à Halle en Allemagne, plutôt que le Queen’s à Londres, une semaine avant Wimbledon… La raison de ce détour ? "La vérité est qu'au Royaume uni, vous avez une fiscalité lourde", a déclaré l'Espagnol au quotidien The Times de jeudi, expliquant que les autorités britanniques taxaient lourdement ses parraineurs : "C'est très difficile. Je joue au Royaume uni et je perds de l'argent. J'ai fait beaucoup d'efforts depuis quatre ans, mais c'est de plus en plus difficile de jouer au Royaume uni. C'est trop".
Le même Nadal qui estime que les calendriers sont trop chargés, que les échéances sont trop proches les unes des autres mais qui préfère passer par l’Allemagne pour se préparer sur gazon au lieu de jouer le Queens qui se situe à moins de 10 Km de Wimbledon pour des raisons fiscales ?Elle est où la cohérence ?
Ainsi, Andy Roddick, le 11 octobre dernier, qui explique qu’il ne peut pas se retirer d’un tournoi comme il le souhaite parce qu’il n’est pas payé. Et l’Américain de faire pleurer les chaumières en disant que les golfeurs et les basketteurs sont mieux payés que lui. Au cours de sa carrière, Roddick a amassé presque 20 millions de dollars. Et n'oublions pas qu'il faut doubler, voire tripler ces gains en y ajoutant les contrats publicitaires pour les joueurs professionnels. Le même qui lors de l’US open était de concert avec Murray et Nadal pour hurler contre le fait que "le business"l’emporterait sur la santé des joueurs ? Elle est où la cohérence ?
Une réaction qui n’est pas sans rappeler Serena Williams qui, elle, a atteint les sommets du scandaleux lorsqu’elle abandonna en 2009 au premier tour de Madrid face à Schiavone, après une seule manche jouée. Quand les journalistes lui demandèrent pourquoi elle s’était rendue sur le court alors qu’elle se savait inapte à jouer, voilà ce que répondit celle qui a récolté la bagatelle de34 millions de dollars sur les courts hors contrats publicitaires depuis 1996, face au spectre d’une amende de 75.000 $ pour forfait tardif : "Vous voudriez payer à ma place? Ce n'est pas trop cher pour vous ? Je suis en train de faire refaire ma maison. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour moi, 75.000 dollars c'est beaucoup d'argent.
Ça représente la totalité de ma facture pour le mobilier, les escaliers, la tapisserie, et j'en passe. Dans les conditions économiques actuelles, je ne suis pas forcément heureuse de signer un chèque de 75.000 dollars. Vous le seriez, vous ?" ? Digne et élégant, non ?
Serena Williams - septembre 2011 - NYC - MCMULLAN /SIPA
Alors Messieurs les joueurs (et Madame Williams car ses collègues de jeu préfèrent ne rien dire sur le sujet, elles…), plutôt que de vous plaindre, sachez apprécier la belle vie que vous menez. Dites-vous que vous tentez de prendre en otage une opinion qui gagne 100 voire 500 fois moins que vous. Que vos plaintes, sont obscènes et offrent un bien piètre image de votre sport.
Vous souhaitez préserver votre corps ? Grand bien vous en fasse. Diminuez de vous-même votre calendrier. Et épargnez-nous ce spectacle révoltant de la mauvaise foi, qui résonne comme le caca nerveux d’un petit héritier qui hurle, la cuillère d’argent dans la bouche.
Et puis, revenez-en à votre base. Comme les joueurs de 4ème série, qui comme moi, se désolent de votre discours qui déshonorent notre sport et qui le dimanche doivent enchainer deux ou trois matchs dans la même journée, avec seulement une heure d’attente entre chaque rencontre, parce que le juge arbitre a décidé qu’il pouvait aller au bout de règlement et qu’il a choisi de privilégier les joueurs de son club. Le tout pour pas un rond. Mais juste pour le plaisir de jouer.