Compte rendu de la journée organisée de main de maître par les Jeunes Européens de Lille, qui par l’intermédiaire de Grégoire Guillard que je tiens ici à vivement remercier, nous ont permis d’entrer dans le Parlement Européen…
BRUXELLES - MERCREDI 15 OCTOBRE 2008
En pleine tempête financière, Bruxelles est en pleine ébullition. Jean-Paul Gauzès qui devait nous accueillir à 11h00 arrive en retard non sans faire amende honorable : il a dû terminer à la hâte sa contribution avant midi, qui aboutira plus tard dans la soirée à la décision annoncée par Nicolas Sarkozy et José Manuel Barroso d’approuver le plan d'aide aux banques de l'Eurogroupe. Aucun doute : quand nous entrons dans les murs du Parlement ce mercredi midi, il se joue un moment d’histoire. Et c’est donc tout à l’honneur de Jean-Paul Gauzès, Eurodéputé pour le groupe PPE, de nous accueillir, débonnaire, avec simplicité et non sans humour, pour une présentation du Parlement, depuis ses infrastructures jusqu’à son fonctionnement, en ce jour si important. Une rencontre sans tabous, ni langue de bois. Rafraîchissante. Digne de ce que doit être la politique.
En résumé, voici, classés par sujets et par questions, la présentation de l’Eurodéputé de la zone électorale Nord-Ouest (découpage électorale et liste des eurodéputé sur le site du Parlement).
UN EURODEPUTE EN CHIFFRE
C’est l’Eurodéputé qui lance lui-même le sujet. Voulant montrer rapidement qu’il n’a rien à cacher, il expose clairement les revenus d’un Eurodéputé.
Jusque 2008, les députés sont payés par les Etats d’origine. En France, il s’agit exactement de 5800 euros net par moi. Ces rémunérations, comme n’importe quelle autre, sont soumises à la fiscalité des salaires (NDLR : un député à l’Assemblée nationale touche, en dehors des indemnités représentative des mandats de frais 6 952,74 €/mois).
Mais cette rémunération souffre de disparité en fonction des pays membres de l’UE. Ainsi, un député hongrois touchera 700 euros par mois contre 13000 pour son collègue italien.
Voilà pourquoi, 2009 marquera un changement notable pour uniformiser ces indemnités : désormais, les députés seront payés par le Parlement aux environs de 6000 euros net / mois pour tout le monde (les députés français n’y verront aucune différence, contrairement aux Hongrois et aux Italiens, qui doivent apprécier diversement la nouvelle…)
D’autres enveloppes s’ajoutent :
- Une pour payer les assistants qui permet en gros de payer 2 assistants ½ de façon convenable (pour exemple l’assistante de jean-Paul Gauzès nous a confié, pendant le repas, qu’avec son Master en Finance et en droit international, et étant la seule assistante du Parlementaire, elle est payée 3000 euros net, toute fiscalité déduite. Le tout pour 13 heures de travail quotidien. Gauzès lui a proposé le renfort d’une secrétaire, mais compte-tenu de l’enveloppe à laquelle on ne peut rien ajouter, elle aurait perdu l’équivalent de 1000 euros par mois. Son choix fut vite pris… de travailler seule).
Ces assistants sont embauchés en CDI, mais un CDI qui considère la fin du mandat parlementaire comme cause valable de licenciement. Notre assistante du jour, tout aussi transparente et honnête que son patron, n'hésita pas à nous répondre lors du déjeuner, sur la nécessité d'une certaine connivence politique entre le député et son assistant, tout en précisant qu'il n'en parlai jamais.
Suite à quelques débordements, le népotisme est désormais proscrit : ainsi les conjoints, enfants et autres « relations durables » (vous apprécierez l’opacité de l’expression…) ne peuvent prétendre travailler pour l’Eurodéputé (NDLR : Il y en a un qui au FMI à New York, risque de découvrir ce qu’il en coûte de jouer avec l’expression « relation durable »…
- Une autre concernant les indemnités « frais de transports / hébergement » à hauteur de 280 euros par jour.
- Une troisième, non soumise à la fiscalité, pour les transports à l’intérieur de la France (dans la circonscription par exemple) ou encore certains frais de secrétariat.
- Une dernière enveloppe émanant du groupe politique pour le budget « communication » (accueil, repas…) sur justificatif (Pour information, Jean-Paul Gauzès a reçu la bagatelle de 2500 visiteurs, dont nous faisons à présent partie, entre octobre 2004 et octobre 2008).
LE TRAVAIL DE L'EURODEPUTE
Il se répartit entre les 3 sièges existants :
- Au Luxembourg, qui demeure pour tout ce qui relève de l’administratif, et où au final, il n’y a plus de décisions qui y sont prises
- A Strasbourg, siège officiel du parlement
- Enfin, à Bruxelles, le siège où se passe la maximum de choses.
Par an, ce sont 12 sessions de 4 jours qui se déroulent à Strasbourg, où l’on constate malheureusement le jeudi soir, alors que certains votes sont encore à effectuer, qu’il ne reste dans l’hémicycle que 70 eurodéputés sur les 785 élus…Une fois tous les deux mois, pour alléger le programme de Strasbourg, une mini séance plénière se déroule à Bruxelles, qui par ailleurs assure la tenue de commissions 2 jours par semaine (quand il n’y a pas de sessions à Strasbourg, et en dehors du mois d’août), ainsi que des semaines consacrées à des groupe de travail comme c’était le cas cette semaine-là (avec une fréquence d’une fois toutes les 3 semaines).
Enfin, une semaine turquoise dite de « circonscription », durant laquelle aucune réunion n’est planifiée, et au cours de laquelle l’eurodéputé peut se consacrer à sa circonscription.
POLEMIQUE SUR LES DEPENSES : la concurrence entre Strasbourg et Bruxelles, et le coût représenté par le déplacement du Parlement a été évoqué en toute sincérité par Gauzès : 200 millions d’euros par an, 1800 fonctionnaires à déplacer, des armoires, des dossiers qui remplissent plusieurs semi-remorques... Mais comme le souligne l’Eurodéputé de la zone Nord-Ouest, cela ne représente au final que 0,50 euro / européen / an.
Mais, Gauzès n’hésite pas à évoquer ce que d’aucuns n’oserait dire : Certains députés ont acheté directement leur appartement à Bruxelles et utilise leur indemnité de 280 euros/ jour pour payer l’emprunt. Aussi, se déplacer à Strasbourg revient à se loger 4 jours à l’hôtel de leur propre poche alors même que les hôtels surtaxent leur prestation lors de la tenue des Congrès. Ils militent donc activement pour faire en sorte que Bruxelles devienne un siège unique…
NB : Concernant les votes, Jean-Paul Gauzès nous précise que compte tenu de la diversité et de la complexité des thèmes abordés, il ne votait en « pleine conscience » que 15% des directives et autres règlements. Pour le reste, il suit les consignes de vote du groupe. (NDLR : Une déclaration qui n’a rien de surprenant mais qu’il serait difficile à expliquer à un citoyen lambda…)
LA COMMUNICATION ENTRE LES DEPUTES
De nombreux traducteurs participent au débat, mais aussi aux réunions de travail. Pour autant, et au grand regret de Jean-Paul Gauzès, l'anglais est la langue la plus utilisée par les Eurodéputés. Il existe 23 langues officielles, la dernière adoptée étant... le gallois (dont les pratiquants maîtrisent pourtant parfaitement l'anglais...). Chacun tente de faire de son mieux, et notre Eurodéputé reconnaît prendre des cours d’anglais. Pour autant, les situations sont parfois cocasses : ainsi Gauzès parle bien mieux l’allemand que l’anglais, et utilise donc la langue de Goethe pour parler à son homologue suédois, qui lui parle bien mieux anglais que l’allemand, et utilise la langue de Shakespeare pour dialoguer avec son collègue allemand… la tour de Babel est passée par là… Mais tout le monde communique !
Durant notre visite de l’hémicycle, Jean-Paul Gauzès nous a rappelé l’importance des traducteurs, et quelques anecdotes croustillantes entre ceux qui sont engagés malgré de graves problèmes d’élocution, ou encore ce traducteur en arabe qui n’a pas dormi pendant plus de trois jours de peur de faire une erreur de traduction (Imaginez que par mégarde, explique l’Eurodéputé, il ait traduit la volonté de faire la guerre à Israël, quand l’inverse était exprimé…). La pression est ainsi décuplée par les enjeux.
UN DOUBLE ENJEU NATIONAL ET EUROPEEN
"Se sent-on plus proche des députés de son groupe (malgré les différences nationales) ou des députés de son pays, malgré la différence de coloration politique ?", demandai-je à notre Eurodéputé. "Les deux mon Général", me répondit-il goguenard.
A la vérité, il y a au sein du parlement un croisement de deux visées : l’intérêt national d’une part, et l’intérêt européen sur des sensibilité d’autre part.
Concernant les groupe, le PPE, dont est issu Gauzès est le seul groupe à être représenté dans les 27 pays d’Europe.
Par ailleurs, on ne peut pas faire un groupe national. Pour faire un groupe, il faut au moins 9 nations.
A chaque fois, l’objectif est d’être le plus nombreux autour d’une idée. Ainsi lors du débat sur la directive Bolkenstein « nouvelle mouture » en mai 2006, qui n’avait alors plus rien à voir avec la polémique qu’elle avait suscité quelques moins plus tôt, Gauzès ne pouvait compter que sur 260 députés PPE, quand la directive devait, pour faire poids, représenter plus de 500 voix. « Il ne suffisait pas de débaucher le Lang du coin », souligne non sans humour Gauzès, décidément très en verve en cette semaine de dépression financière.
Au final, les clivages politiques sont moins prégnants qu’à l ‘Assemblée nationale, et les accords entre gauche et droite sont bien plus fréquents qu’on ne veut bien le montrer. Sans doute pour préserver le grand public qui verrait d’un mauvais œil cette promiscuité et cette connivence qu’il aurait tôt fait de prendre pour de la promiscuité malsaine (NDLR : comme quoi de la pédagogie sur les convictions et les politiques est toujours plus sain que l’étendard systématique des étiquettes…)
VERS UNE FISCALITE UNIQUE ?
Pourquoi n’y a a-t-il pas de fiscalité unique au sein de l’Union européenne ?
A vrai dire, le parlement européen a peu de compétence dans ce domaine. Selon Geuzes, l’on aurait dû modifier les institutions avant l’arrivées des 10 derniers pays dans l’UE, car à 27 cela devient plus délicat de prendre des décisions. Et pour cause : la fiscalité touche à la souveraineté des Etats. Donc pour prendre une décision dans ce domaine, il faut l’unanimité des 27. Voilà pourquoi l’on vote les dépenses et non les recettes à Bruxelles.
En revanche, la TVA relève, elle, de la compétence européenne. Bruxelles a fixé à ce titre, des fourchette minimale et maximale de la TVA ; ce qui explique qu’elle ne soit pas identique dans les 27 mais qu’elle reste dans les mêmes eaux.
Mais dès lors que l’on voudrait, comme ce fut le cas pour la restauration, changer la fourchette d’un secteur (à savoir, passer d’une TVA à 18,6 à 5,5%), il faudrait l’unanimité. Or pour l’heure, alors qu’elle s’est battue pour augmenter la TVA dans son pays, l’Allemagne de Merkel s’y refuse catégoriquement par souci de cohérence.
Pour autant des projet en matière de fiscalité sont discutés à travers les séances de travail. On pourrait admettre que certains produits puissent être taxés librement par les Etats dès lors que cela n’affecte par la fluidité du marché intérieur de l’Europe. Ainsi quand vous mangez dans un restaurant du centre-ville de Lille, vous ne faites pas jouer la concurrence des brasseries de Bruxelles.
Toutefois les lignes concernant la fiscalité sont difficiles à faire évoluer d’autant que certains sont pour la concurrence fiscale comme l’Irlande qui propose une fiscalité avantageuse de 12% pour les entreprises…
QUI AURAIT INTERET A CE QUE L'EUROPE NE FONCTIONNE PAS ?
La polémique issue du NON de l’Irlande semble désigner deux coupables parfaitement authentifiées : les Etats-Unis, qui entendent bien que l’Europe ne reste qu’un marché utile à leur économie et non une puissance politique, et… Le Vatican ! Benoit XVI et ses disciples qui voit les fondamentaux catholiques reculer, comme par exemple le droit à l’avortement, ont beaucoup manœuvrés auprès des conservateurs catholiques très influents dans un pays où l’IVG est encore interdite.
LA CRISE NE POURRAIT-ELLE PAS POUSSER CERTAINS PAYS A ENTRER DANS LA ZONE EURO ? A vrai dire, cela ne concerne que deux pays. En effet parmi les 27 adhérents de l’UE, seules le Danemark et la Grande-Bretagne ne se sont pas engagés à y entrer. Mais les lignes peuvent bouger avec cette crise, dans laquelle l’Euro fort est un rempart incontestable.
Mais l’entrée dans la zone Euro implique de nombreux critères exigeants à remplir : une économie solide, une inflation réduite depuis plusieurs années…
Toutefois, cela n’explique pas tout. Ainsi la Slovaquie rentrera dans la zone Euro en 2009 quand la République tchèque attendra au minimum 2012 , tout en présentant des garanties supérieures à la première citée. Parce qu’il ne faudrait pas négliger la volonté politique qui est à l’originede toute décision. Ainsi quand le Premier Ministre tchèque qui va présider l’UE en 2009 refuse de dresser le drapeau européen sur le bâtiment de son ministère, il n’est pas certains que cela puisse être bénéfique à une accélération du calendrier…
EN TANT QUE DEPUTE DE QUOI ETES-VOUS LE PLUS FIER ?
Jean-Paul Gauzès explique qu’il a le sentiment de construire des choses, de les faire avancer et de participer à l’intérêt des citoyens de l’Union Européenne.
Il explique par exemple que le Parlement fait bien des choses concrètes sans qu’elles soient connues et/ou reconnues. C’est le cas concernant la réglementation du Roaming (taxation des appels internationaux des téléphones mobiles, aussi bien en émission qu’en réception d’appels). En 2007, la Commission a limité le surcoût de la communication téléphonique, pour le bien du consommateur (NDLR : avant 2007, les émissions d’appels dans l’UE étaient facturés 1 euro /minute, et les réceptions à 0,30 euro la minute. Depuis la décision du Parlement, les coût sont respectivement passé à 0,55 et 0,26 par minute). Pourtant, qui le sait ? Personne !
Quelles en sont les raisons ? Une mauvaise communication des Parlementaires, incontestablement, et surtout une récupération très habile des opérateurs qui au lieu de parler de la nouvelle législation européenne, l’ont maquillée en démarche commerciale et en baisse des prix…
Au final, Jean-Paul Gauzès considérerait que la véritable source de fierté pourrait être l’excellente participation aux prochaines européennes en 2009. Quelle plus jolie conclusion pouvait-il faire ?