Les sondages s’égrainent les uns après les autres avec la même terrifiante conclusion : Marine Le Pen est incroyablement bien assise à la première ou à la deuxième place si le premier tour des Présidentielles avaient lieu en ce moment. Lorsque Harris Interactive avait sorti son sondage choc voilà deux mois, que n’avait-on pas entendu sur le manque de sérieux de cette hypothèse. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde sur ce point. Indiscutable.
Ce n’est pas une surprise : aucune des configurations ne permet pour l’instant d’exclure Marine le Pen du second tour. Ce n’est pas une surprise car c’était déjà le cas en 2002. Les sondages de sorties d’urne étaient très serrés et quelques tuyaux bien placés expliquaient, incrédules, que Jospin et Chirac s’échangeaient, par intermittence, et selon les lieux, la première ou la troisième place, Jean-Marie Le Pen étant lui toujours placé à la deuxième. Qu’on ne s’y trompe pas : quand le Front National est bien placé, aucun candidat ni aucune combinaison ne peut imaginer contrarier sa présence au deuxième tour compte-tenu de notre mode d’élection à deux tours, qualifiant les deux premiers. Au lieu de s’interroger sur la stérilité des réponses apportées au mal frontiste, au lieu de se remettre en question sur la carences des politiques proposées, au lieu tout simplement de traiter le FN comme il doit l’être, c’est-à-dire un parti non pas fasciste ou nazi, caricature qui a tant décrédibilisé ses auteurs (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a ni fasciste, ni nazillon dans leurs rangs, entendons-nous bien comme le montre l’actualité récente sur laquelle nous reviendrons…), certains se sont mis en tête, non sans bêtise de changer… le mode électoral.
Ainsi Terra Nova, think tank de gauche, propose de changer l’élection présidentielle en permettant à chaque électeur non pas de choisir un candidat, mais de les noter tous en fonction de ce chacun estime de ces capacités à assumer la présidence de la République (baptisé le « jugement majoritaire »). Etonnant système déjà proposé en juin 2008 et qui démontrait que le gagnant du premier tour aurait été… François Bayrou ! Il serait tentant de céder aux délices exquises qui placent en vainqueur le défenseur de ses idées. Mais il serait plus juste et ô combien plus honnête de reconnaître l’hérésie d’une telle procédure. Bien évidemment, cette méthode aurait tendance à décrédibiliser ceux qui recueilleraient le plus d’opinion définitives en leur défaveur. Nul doute qu’à ce petit jeu, Marine Le Pen se placerait à la dernière position, ce que ne manque pas de montrer Opinion Way qui a simulé une enquête comparative auprès d’un panel (Notons la quatrième place de François Bayrou… derrière Borloo et De Villepin…). Non content de tronquer le mode électif, Terra Nova va plus loin en préconisant qu’en sus des signatures requises (500, limite qui empêcha en 2007 les candidatures de Dupont-Aignan et de… Corinne le Page, deux futurs soutiens de… François Bayrou !), les candidats devraient recueillir… 1 million de signatures de citoyens !
Analysons. Tout d’abord, Terra Nova, Think tank de gauche est pleinement partial. De toutes évidences, ce mode électif n’a qu’un seul but : empêcher le Front National d’atteindre le second tour. Alors de deux choses l’une : soit ce parti développe des thèses et des idées tellement nauséabondes et antirépublicaines qu’il se doit alors d’être interdit. Soit, il est tout ce qu’il a de démocratique, auquel cas, on ne change pas les règles quand le jeu ne tourne pas en sa faveur. Ce qui nous amène à notre deuxième point : une élection, c’est le moment de choisir. Faire un choix dans une multitude d’offres mais aussi malgré les contraintes. Si le candidat parfait existait, cela se saurait. Et noter tout le monde, plutôt que de choisir un nom, c’est se dérober. Et la démocratie ne peut se résumer en une moyenne de dérobades. Enfin, la dernière mesure qui vise à rassembler un million de signatures est tout bonnement inefficace et liberticide. Comment de la sorte ne pas renforcer le bipolarisme, ce qui ne déplairait assurément pas à Terra Nova, socialoconvaincu ? En quoi cela empêcherait la candidature de Marine Le Pen, puisque le FN brasse plusieurs millions de voix, quelle que soit l’élection. L’objectif est très clairement d’empêcher la multiplication des candidats puisqu’il a été décidé que la défaite de Jospin en 2002 était seulement dû à cette multiplicité de l’offre. Faut-il rafraichir la mémoire à Terra Nova ? Lui rappeler que cette multitude de candidats était la conséquence d’un candidat PS qui annonça, grande classe, sa candidature par fax (ça donne envie !), et qui lança à Lille (à Lille !!!) lors de son premier meeting que sa campagne ne sera pas socialiste ? Lui rappeler que si autant de candidats se sont présentés et ont été choisis par tant d’électeurs de gauche c’est que la proposition du PS ne répondait nullement à ses attentes, qu’ils soient très à gauche pour ceux qui ont voté Taubira par exemple, ou plus proche du centre comme ceux qui ont voté Chevènement ? Et qu’au-delà de cette configuration c’est au moins autant l’abstention, synonyme d’écœurement des électeurs et du non intérêt que suscita cette campagne centrée sur la sécurité, et que n’a jamais su dynamiser Lionel Jospin, que l’éclatement des candidatures qui causa l’élimination du Premier Ministre sortant ?
D’autres « propositions » émanent de ceux qui veulent changer les règles du jeu pour « empêcher » une candidature de Marine Le Pen comme le rehaussement du nombre de signatures à 600 au 700, l’organisation de primaire ou encore la propagande pour décourager ceux qui provoquerait la dispersion des voix.
Dans tous les cas, toutes ces tentatives sont non seulement vaines (car un parti qui prétend obtenir jusqu’à 23% des voix peut assurément vaincre de telles embuscades), mais pire tueraient à court terme la pluralité politique de la politique française. A l’exception notable des européennes et à un degré moindre des régionales, aucune élection française ne propose de proportionnelles. Mais la présidentielle présente un atout : elle est au centre de l’attraction. On sait que pendant cinq années, on va confier le pays à une personne, et par le changement vicieux de calendrier voulu par Jospin et précipité par la dissolution de l’Assemblée en 1997 par Chirac, le Parlement suivra la tendance comme cela s’est toujours vérifié. Le premier tour est donc l’occasion de voter pour que sa voix soit représentée au moins une fois par quinquennat. C’est l’occasion unique de montrer que la France est plurielle et envoyer un signe fort au futur élu qu’il faudra compter avec tous ceux qui ne se sont pas rassemblés sur son nom au premier tour. Pour l’avoir oublié, Nicolas Sarkozy vit à présent la peur au ventre, avec le spectre d’une élimination dès le premier tour en 2012. Et rien ne dit qu’il briguera à nouveau à la présidence si les conditions étaient les mêmes dans six mois.
Encore une fois, il ne faut pas vouloir jouer aux apprentis sorciers et changer les règles du jeu de la démocratie quand celle-ci s’obstine à faire émerger ceux qu’on ne voudrait pas voir. Cette fameuse démocratie est fragile : et les pays arabes enfin libérés du joug de leur dictateur réciproque vont le vivre à leur dépens. Ce n’est pas parce que c’est déjà fait qu’il ne faut rien faire. L’Iran a connu sa révolution en chassant le Shah du pouvoir. Elle a hérité de bien pire sous le vernis de la démocratie. C’est une chose précieuse et fragile qui ne s’entretient que d’une seule manière : le débat, la pédagogie, les idées. On ne combat pas le Front National en faisant de lui une victime (il en a fait son carburant) mais en le combattant sur le terrain de idées. C’est en montrant que son diagnostique est caricatural, en montrant que sa politique est celle de l’ostracisme, que sa stratégie est celle du bouc-émissaire, que ses solutions sont démagogiques, que ses raccourcis sont sans fondement, que ses chiffres ne sont étayés par aucune étude impartiale que l’on combat le Front National.
C’est donc dans cette perspective que j’ai décidé de m’atteler à la tâche. Parce que les intentions de votes pour Marine Le Pen sont trop hautes et durables, parce que son influence est réelle et parce que la droite est devenue si poreuse, parce que les Ménard et autres Zemmour ont le vent en poupe en dégainant des arguments ineptes et contestables par la raison, et parce qu’à une pensée unique en a succédé une autre, que j’ai décidé de consacrer une partie de mes articles à disséquer le programme du FN et à démontrer ses inepties. C’est aussi parce que Marine Le Pen s’engage dans nos sillons, ceux que François Bayrou avait creusés, qui annonçaient une troisième voie qui se démarque du bipartisme mais sans tomber dans le cynisme du populisme et du nationalisme, sans tomber dans l’europhobie, ou sans prier de mille dieux fielleux le choc des civilisations, qu’il faut combattre le mal par la racine. Le PS et l’UMP se fourvoient depuis trop longtemps. Le FN n’apporte aucune solution mais annonce de plus amples catastrophes. Alors luttons. Plume à la main.
Addenda du 27 avril :Le Monde assure depuis ce week-end la promotion de la proposition de Terra Nova. Quelle surprise quand on sait que ce même journal avait publié un retentissant "Impératif démocratique" à la veille du premier tour des présidentielles de 2007, édito qui expliquait tou bonnement que le seul deuxième tour démocratiquement recevable était un match entre le PS et l'UMP, Royal contre Sarkozy. Ou comment le Monde contribue au bipartisme et à la bipolarisation du système politique français...