Marine Le Pen et son équipe à Hénin-Beaumont, le 17 juin 2012 (AP Photo/Michel Spingler)
Le moins que l’on puisse dire c’est que Marine Le Pen a réussi son retour médiatique. Étonnamment silencieuse depuis sa défaite sur le fil aux législatives à Hénin Beaumont, la présidente du FN avait visiblement tenu à différer la rentrée de son parti, les universités d’été se déroulant trois semaines plus tard que l’an passé. Et force est de constater que ce choix se révéla judicieux car quelle autre actualité pouvait-elle la servir avec autant de générosité ?
Tensions autour du film anti-islam, caricatures de "Charlie Hebdo" : autant de délices exquises à se mettre sous la dent pour un parti qui a fait du malaise et de la crise la colonne vertébrale de son discours. Faites peur, il en restera toujours quelque chose.
Preuve qu’elle est considérée à présente comme une femme politique comme les autres, elle a accordé au "Monde" un long entretien pour lancer son week-end. Avec aux questions notamment Abel Mestre et Caroline Monnot, auteurs du blog "Droites extrêmes", et auteurs du livre "Le système Le Pen, enquête sur les réseaux du Front National". Précautions ultimes de la part du quotidien pour s’atteler à la tâche.
Interdire le voile et la kippa, une vieille idée chez les Le Pen
Si le Monde.fr avait décidé de mettre en exergue une phrase choc de Marine Le Pen, "Je mets à la porte tous les intégristes étrangers", c’est davantage deux de ses réponses qui mit en émoi toute la sphère médiatico-politique. A la question "Êtes-vous toujours pour l’interdiction du voile dans l’espace public ? Dans la rue ?", la présidente du FN répondit : "oui, dans les magasins, les transports, la rue". Désireux de la voir préciser sa pensée, les journalistes lui demandèrent si cette interdiction vaudrait pour tous les signes ostentatoires et notamment la kippa. Ce à quoi elle répondit, fermement : "Il est évident que si l’on supprime le voile, on supprime la kippa dans l’espace public".
Et voilà comment nous vîmes toute la journée de vendredi rythmé au gimmick : "Marine Le Pen veut interdire le voile et la kippa dans les espaces publics". Etonnante détonation, car, pour qu’une position puisse faire du bruit, il faut qu’elle clive et qu’elle soit nouvelle. Or comme l’indique la formulation de la question ("Êtes-vous toujours pour l’interdiction… "), Marine Le Pen n’a pas changé sa position. Il serait intéressant en d’autres temps de s’intéresser à l’intérêt qu’ont eu certains médias de faire en sorte que cette déclaration puisse faire l’effet d’un choc dans l’opinion si ce n’est à vouloir délibérément la juxtaposer à une actualité brulante et vouloir, eux-mêmes créer un buzz.
Marine Le Pen, gardienne de la laïcité ? Loin de là !
Toujours est-il que Marine Le Pen est apparue, telle qu’on la vit un jour de janvier 2011, quand son père lui transmit le flambeau : désireuse, en apparence, de liquider l’héritage "catho-tradi-intégriste" que Jean-Marie Le Pen s’était efforcé de fédérer notamment autour de la personnalité de Bernard Anthony, la nouvelle tête du FN a revêti les oripeaux de la très républicaine laïcité, bien loin des tentations royalistes des intégristes d’antan.
Mais bien naïf est celui qui oserait croire que Marine Le Pen est devenue en l’espace de quelques mois la seule gardienne de notre laïcité. Elisabeth Badinter en avait fait les frais dans une déclaration maladroite où elle voulait simplement dire qu’il était inconcevable en France que seule Marine Le Pen osait traiter la question, faisant d’elle la seule à parler de laïcité. Des lettres de noblesse dont s’était enorgueilli la présidente du FN, poussant Elisabeth Badinter à rectifier le tir. Au grand désespoir de celle qui s’était crue anoblie.
Marine Le Pen, toujours en croisade contre l'islam
Car la laïcité de Marine Le Pen n’a rien de la laïcité républicaine, à la fois ferme sur ses principes mais généreuse envers la liberté de culte. La sienne se construit dans l’ostracisme avec dans le rôle du bouc émissaire, l’islam. Une véritable croisade contre une religion, et une seule, ce qui suffit à se réconcilier avec sa propre branche catho-intégriste, qui peut lui pardonner de la sorte, des élans un peu trop républicains à son goût et ses indulgence envers l’avortement que le FN ne veut plus abroger (seulement dérembourser… rien que cela !).
Revenant sur son soutien à "Charlie Hebdo" et sur le droit fondamental de pouvoir blasphémer, et rappelant que la liberté d’expression s’arrête là où elle entre dans le débat, comme nousl’expliquons par ailleurs, Marine Le Pen glisse un indice précieux dans le décryptage du double discours :
"Ce que je trouve étonnant, c'est l'indignation à géométrie variable de la classe politique. Nous sommes dans un pays où 95 % des profanations concernent des lieux de culte ou des tombes catholiques et il n'y a pas une ligne, pas un communiqué d'un ministre. Et dès qu'il y a une profanation d'une mosquée ou d'un carré musulman, immédiatement, il faut faire le communiqué.”
Le deux poids deux mesures entre l’islam et le catholicisme. La plainte éternelle selon laquelle le traitement n’est pas le même et que l’islam serait une religion protégée en France. C’est en substance ce que répètent à l’envi les intégristes catholiques comme Civitas qui, par exemple, cet été, citait le Salon Beige, un autre site “spécialisé” qui commentait un article du "Hérald Sun" relatant qu’un parlementaire israëlien avait déchiré une copie du Nouveau Testament, qualifiant l’ouvrage de "méprisable" :
"Quand un Coran est "profané", l'indignation est générale. Attendons de voir ce qui se passe quand un député déchire publiquement un Nouveau Testament..."
Elle fait de la religion une identité
Dans la même série, Marine Le Pen estime qu’il faut "éviter que la religion devienne une identité, une nationalité". Étonnante déclaration quand on sait que dans son parti, l’on ne fait pas toujours la différence. A l’image de Stéphane Ravier, membre du bureau politique du FN, conseiller régional de PACA et qui a, lui aussi, échoué sur le fil au second tour des législatives en juin dernier et qui encourageait en août 2010 tous les Français à fêter l’assomption en déclarant dans un communiqué (notons que le communiqué original a été radié du site comme tout ce qui précède 2012, histoire de faire le ménage. Malheureusement pour le FN, l'affaire nous avait déjà intrigué à l’époque) :
"En cette sombre période de repentance obligatoire, de dénigrement de notre Histoire, d’encouragement au communautarisme source de racisme anti-français, de rejet de notre identité nationale, de négation de nos racines chrétiennes au profit d’un islamisme conquérant conséquence d’une immigration massive […] Stéphane Ravier […] souhaite à tous les patriotes, à tous les nationaux, à tous les catholiques, à toutes celles et ceux qui ont la France au cœur et aux tripes, un 15 août de fierté nationale !"
Et l’élu nationaliste de conclure : “Que cette journée, symbole de Grandeur et de Spiritualité, soit une journée de fête et de joies pour tous nos compatriotes attachés à leur culture, à leurs traditions, à leur identité, à leur fierté d’être Français !"
Le 15 août célébrant la Vierge Marie rattaché à le fierté d’être Français ? Notre identité nationale synonyme de racines chrétiennes en opposition à islamisme conquérant et une immigration massive ? Il n’est pas bien sûr que ce type de déclaration soit en adéquation avec la volonté de Marine Le Pen d’éviter que la religion devienne une nationalité.
Enfin, pour ceux qui ne l’ont pas encore compris, Marine Le Pen a tenu à préciser concernant la situation syrienne et l’éventuel départ de Bachar El-Assad : "Si sa sortie n'est pas négociée avec son remplacement par quelqu'un issu de la même minorité, sa minorité sera massacrée et les chrétiens seront massacrés." On le voit, la laïcité selon Marine Le Pen se décline au son du choc des civilisations, chrétiens vs musulmans.
Mais au-delà de ce deux poids deux mesures qu’elle semble dénoncer, non pour son existence, mais dans l’interprétation qu’elle en donne, à savoir que le christianisme s’en retrouve lésé, Marine Le Pen a tenu à rappeler un des points qu’elle semble mettre au cœur de sa vision laïque : "Je ferai inscrire dans la Constitution que ‘La République ne reconnaît aucune communauté". Proposition présente dans son programme présidentielle et qui fleure bon la vacuité : la Constitution reconnait déjà que la Nation est une et indivisible, ce qui rend parfaitement artificiel et vain cet amendement.
Une prise de risque limitée
En revanche, il semblerait qu’elle ait changé sur un point : alors qu’elle avait annoncé dans le même chapitre de son programme présidentiel qu’elle mettrait fin aux baux emphytéotiques accordés pour édifier des lieux de cultes (sachant que c’est essentiellement la religion catholique qui en bénéficie et non l’islam comme elle semblait le prétendre alors…) et qu’elle interdirait les financements étrangers de ces mêmes lieux, elle explique à présent :
"Je veux bien qu'un Etat finance une mosquée dans notre pays s'il n'interdit pas sur son territoire le financement des églises ou de n'importe quel autre culte."
On le voit, la part de risque, chez Marine Le Pen, est on ne peut plus limitée et se résume à ce crédo : "une mosquée contre une église". Quand on vous le disait que la croisade était engagée…
Enfin, la présidente du FN renoue avec ses obsessions, et l’on en revient à la déclaration "choc" que les journalistes du "Monde" avaient tenu à mettre en exergue : "Je mets à la porte tous les intégristes étrangers." Et nous de lui demander : “Parce que tous les intégristes sont étrangers ?” A la lire et à voir tous ceux qui gravitent autour du FN de Bruno Gollnisch toujours prompt àfréquenter St Nicolas du Chardonnet et à défendre les “tradi-crypto intégristes” à Louis Aliot, son compagnon, qui invitait, en janvier 2011, les adhérents du FN à participer à la marche pour la Vie, qui chaque année, milite pour l’abrogation du droit à l’avortement, il n’est pas bien sûr que l’équation se vérifie. Immanquablement.
Alors, Marine Le Pen chantre exclusif de la laïcité ou Tartuffe au pays des laïques ? Cachez ce saint que je ne saurais voir...