Suite de l'enquête sur le programme du Front National. Après l'éducation, cap sur la politique familiale.
Le projet du FN a toujours considéré la politique familiale comme une donnée essentielle. D’inspiration assez conservatrice et somme toute complaisante avec son socle traditionnaliste, qui, jusqu’au départ de Bernard Anthony en 2006, était très dominant au Bureau Nationaliste. Même si son influence est à la décrue, surtout depuis l’avènement de Marine Le Pen au détriment de Bruno Gollnisch, elle n’a pas pour autant disparu. Et force est de constater que le programme du FN en 2011 concernant la politique familiale est en tous points ressemblants à celui que proposait le fondateur du Parti en 2002. Avec trois thèmes dominants : la priorité aux familles françaises, la position face au caractère sacré de la vie, et celle par rapport aux homosexuels.
Pour débuter, évoquons la priorité aux familles françaises. La section « Famille et enfance » s’ouvre sur un constat alarmiste de la société française : « Depuis de très nombreuses décennies, la France n’a plus de politique familiale. La relève des générations n’est plus assurée ». Et de lancer non sans sous-entendus : « La famille comme la Nation (…), certains veulent les dissoudre. » Depuis quand la relève des générations n’est plus assurée en France ? N’est-elle pas le pays, avec l’Irlande, qui possède le taux de Fécondité le plus élevé en Europe, autour de
2 enfants par femmes quand par exemple l’Allemagne est tombée à 1,42 ? Est-il utile de rappeler que ce taux est proche du seuil de renouvellement des générations qui est de 2,1 pour les pays développés ? Et qui est caché derrière l’impersonnel « certains » ? Qui a intérêt à dissoudre la famille et la Nation en France ? Les accusations s’amoncellent sans pour autant éclaircir ces points :
« Naguère, quatre piliers supportaient l’édifice national : la famille, l’école, la religion et l’armée. » Et après avoir fait porter l’entière responsabilité de tous les maux à 1968, le FN d’en conclure : « La famille traditionnelle (…) est en train de disparaître ». Etonnante nostalgie qui place sur le même plan, la famille, l’armée, l’école républicaine et la religion pour le parti qui se revendique de la laïcité… Par ailleurs, comment ne pas être scandalisé par ce véritable mensonge qui ressemble à s’y méprendre à une propagande malhonnête qui sonne le glas de la famille quand, outre le taux de natalité, les mariages ne cessent de croître en France ?
Tous les constats sur la famille sont alarmistes et surtout FALLACIEUX. Ils ne sont que purs mensonges fondés sur des croyances et des préjugés que le bon sens populaire aura tôt fait de corroboré autour d’un ballon de rouge au troquet. C’est aussi ça le populisme à la Marine Le Pen : du mensonge, de la caricature et de la mauvaise foi.
Mais il faut bien dire que le FN a une arme dans sa poche. Il pourra toujours contester les chiffres que je viens d’énoncer, émanant pourtant d’Instituts officiels comme l’INSEE ou l’INED, en prétextant que ces chiffres reflètent mal la réalité. Et pour cause, la réalité selon le FN de Marine Le Pen n’est pas celle de la France… mais celle des Français :
« De surcroît, la politique antifamiliale poursuivie a un objectif délibéré : substituer à la politique de démographie française, une politique de peuplement par l’immigration. » Et le programme d’évoquer « l’effondrement des naissances françaises – il y a en effet environ 700 000 naissances d’enfants français sur un total de 830 000 naissances et le nombre d’enfants par femme française est plus proche de 1,70 que de 2 ».
Sur quelles études sont fondées ces données ? Données qui montreraient que les femmes françaises seraient plus proches de 1,7 alors que le taux annoncé est de 2 ? Cela voudrait-il dire que des femmes non françaises, en nombre suffisant, pourraient faire augmenter ce chiffre jusque 0,3 point ? On n’ose imaginer que le FN en vienne à considérer que les femmes qui n’auraient pas d’origine française soient nécessairement non françaises… Encore une fois, on semble séparer les naissances de France et la naissance des Français. Logique pour un parti qui revendique la nationalité du sang et non la nationalité du sol.
Non seulement cette différence est douteuse et amène à se poser des questions sur la nature exacte de la différenciation qui est faite (nationalité ? origine ?) mais elle pose une question encore plus concrète concernant la source : sur quelle étude sont fondés ces chiffres alors qu’en France les études différenciant les origines, la religion ou la couleur de peau sont interdites…
Pour terminer, le FN national montre du doigt le mode d’attribution des prestations sociales qui sont fixées en fonction des conditions de ressources contrairement à ce qu’il se faisait en 1945… Toujours la nostalgie du passé qui vient parfumer le programme politique de la famille.
Les mesures du FN concernant ce domaine ressemble globalement à celles qu’il proposait depuis plus d’une dizaine d’années : la création d’un revenu parental, avec le versement du SMIC pendant 3 ans pour le premier enfant, un renouvellement d’une durée de 3 ans pour le deuxième enfant et d’une durée de 10 ans pour le troisième enfant. Et comment financer tout cela serait-on tenté de se dire ? Car le FN annonce lui-même un coût estimé à 15 milliards d’euros. Tout simplement avec la réduction « conséquente de certains dispositifs actuels ». Lesquels ? Une petite idée avec ce qui suit : « L’ensemble des prestations à la charge des CAF (Caisses d’allocations familiales) sera établi dorénavant sur des critères nationaux et familiaux et non plus presque exclusivement sociaux ». Cette fois-ci c’est clair. Ce que laissaient suspendre en filigrane les constats sur le ton de la désolation est écrit noir sur blanc : « des critères nationaux ». La politique de la « préférence nationale » est ici clairement exprimée. Un concept assez ancien et qui fit les beaux jours du père Jean-Marie dans les années 90 et qu’essaya même de mettre en œuvre un certain Bruno Mégret, ou plutôt sa femme Catherine, poupée gigogne de son mari rendu inéligible pour avoir « explosé » ses comptes de campagne aux Municipales de Vitrolles (ce qui ne l’avait pas empêché de perdre par ailleurs !). Renaud Dély l’évoque dans Histoires secrètes du Front National, paru en 1999 dans un chapitre intitulé « Vitrolles, laboratoire du mégrétisme »:
« Autre symbole de sa volonté de rupture, la création, au mois de janvier 1998, d’une allocation municipale de la naissance », sous la forme d’une prime de 5000 francs (NDLR : 750 euros) offerte par la mairie aux couples « français ou européens » pour « encourager la natalité ». Incarnation de la vision du monde mégrétiste, un beau bébé blond joufflu aux yeux d’un bleu étincelant annonce la bonne nouvelle aux Vitrollais sur tous les panneaux municipaux de la ville sous le slogan « Bienvenue à Vitrolles ». Cette décision discriminatoire éphémère sera successivement cassée par le Tribunal administratif de Marseille puis par le Conseil d’Etat puisqu’elle est contraire à la Constitution dont elle bafoue le principe d’égalité ».
Le Front National est donc prêt à remettre cela 13 ans plus tard. Et on veut nous faire croire qu’il a changé ? Pour ce faire, il faudrait donc déroger aux principes de l’égalité. Comment alors passer à nouveau le cap du Conseil d’Etat ? En provoquant sa dissolution ? En changeant l’adage de notre République par Liberté et préférence Nationale en toute fraternité ? Ce n’est plus un quinquennat qui se dessine, ce serait un coup d’état…
Mais d’autres positions tombent en contradiction totale avec la législation en vigueur en France et notamment le fameux chapitre sur le caractère sacré de la vie. Cela a toujours été au cœur du FN, notamment par l’influence des traditionnalistes et autres habitués de St Nicolas du Chardonnet. Le programme du FN fait une large place à la défense de la vie : « nous nous engageons à demander aux Français, par voie référendaire à la fin du quinquennat, de promouvoir une Nation moderne soucieuse du respect de la dignité humaine par l’inscription dans les textes, qui fondent son existence et son développement, du caractère sacré de la vie et l’affirmation du droit de la personne à être protégée par la loi de sa conception à sa mort naturelle ». Cela revient donc à remettre en cause la loi Veil. Cette proposition, qui, on le voit, est allégée par la voie référendaire, s’accompagne d’autres initiatives de la part des cadres du parti : le 15 février dernier Marine Le Pen se prononçait contre le remboursement de l’IVG dans La Croix considérant qu’il existe suffisamment de moyens de contraception. Louis Aliot, lui en sa qualité de Vice-président du Front National, est allé plus loin puisqu’il a invité les militants du Front National à défiler dans la Marche pour la Vie, aux côtés, faut-il le rappeler, des intégristes traditionnalistes parmi les plus sectaires et les plus chevronnés sur la question de l’avortement.
Depuis quelques temps, on tente de nous faire croire que le Front National tentait de rompre les ponts avec les traditionnalistes, notamment depuis le départ de Bernard Anthony. Pourtant, ne faut-il pas voir sur ce point un attachement certain à leurs valeurs morales ? Pourquoi remettre en cause ce droit fondamental qu’a une femme d’avoir le choix ? Pourquoi priver les femmes françaises d’avoir ce choix ? L’argument du taux de natalité et du seuil de renouvellement des générations ne tient pas. Alors quelle autre raison peut-on invoquer concernant cette position si ce n’est de réaffirmer une appartenance à des valeurs morales ultra conservatrices, de celles qui défendent Christine Boutin ou la droite puritaine américaine ?
Toujours dans la même thématique, le FN propose « la déclaration prénatale de consentement à l’adoption (qui) permettra à tout couple ne pouvant pas avoir d’enfants d’adopter l’enfant à naître d’une autre femme qui ne désire pas le garder. » Tout ce qui en somme éviterait l’avortement.
Pour terminer, l’épineux problème de l’homosexualité. Il faut dire que le Front National n’a pas toujours eu la tolérance naturelle à son égard en attestent quelques déclarations fracassantes de Jean-Marie Le Pen parmi lesquelles un tonitruant « L'homosexualité n'est pas un délit, mais constitue une anomalie biologique et sociale », déclaré le 13 février 1984, dans L'heure de Vérité, sur Antenne 2 , ou encore plus récemment à propos du PACS en 2002 sur Jeunesplus.org: « La loi (...) n'a pas à légiférer au profit de lobbies organisés (moins de trente mille personnes dont un quart à Paris), prétendant imposer leurs comportements déviants en modèle social normatif » (On notera comme d’habitude la sortie de chiffres officieux et reposant sur des études parfaitement indentifiables…). « Anomalie biologique et sociale », « comportements déviants » : difficile de faire plus sectaire. Le FN nouvelle vague est moins rédhibitoire sur la question et l’on voit même dans les cortèges des FNJ pas mal de jeunes gays rejoindre les rangs du Front National. C’est en ce sens que Marine Le Pen dans sa fameuse diatribe sur les prières de rue en décembre dernier avait ajouté cette phrase assez peu commentée par ailleurs : « J’entends de plus en plus de témoignages sur le fait que dans certains quartiers, il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, ni même français ou blanc ». Autant la démarcation avec l’antisémitisme primaire d’une partie du FN canal historique avait déjà été amorcée, autant cet anathème lancé sur l’homophobie dans les cités est plus saugrenu de la part de la Présidente du Front National.
Un ralliement à la cause gay d’autant plus détonant qu’il avait causé quelques troubles lors de la campagne interne au parti qui avait vu certains soutiens de Gollnisch « reprocher » à la futur présidente de s’être entourée ou d’avoir été soutenue par des militants pro-gay ou pour le moins ouvertement homosexuels, comme on a pu le lire sur le site edeo qui n’est pas réputé il est vrai pour son ouverture d’esprit sur la question de mœurs… Pire Vénussia Myrtil, secrétaire départementale adjointe du FNJ des Yvelines et soutien « féroce » à Marine Le Pen (adjectif relevé par un Gollnischiste et dont je ne prétends pas expliquer les sous-entendus), révélait en octobre 2010 sur sa page Facebook une position pro-lesbianiste (Diantre !), féministe (Mon Dieu !) et… pro-avortement (Vade Retro Satanas !!!!)… Le site des Intransigeants, clairement tradi, qui entre-temps a dû fermer ses portes, ajoute même que l’accusée est « obsédée »… On le voit, la question de l’homosexualité est loin de faire l’unanimité dans les rangs du FN…
D’ailleurs, cet intérêt soudain pour la cause homosexuelle s’organise surtout dans un front commun contre l’islam que l’on caricature en islamisme systématique. Un stratégie qui n’est pas neuve mais empruntée à deux de nos voisins européens, la Suisse et les Pays-Bas, comme l’explique un membre du Centre LGBT d’Ile-de-France :
« Ces dernières années, les mouvements populistes d’extrême droite, néerlandais en particulier, ont clairement pris la défense des gays et des lesbiennes agressés dans les banlieues par des jeunes néerlandais d’origine arabe et ont ainsi fait d’une pierre deux coups, rallier un certain nombre d’homosexuels qui se sentent abandonnés par une politique de la ville souvent indigente et allonger leur liste des victimes de la religion musulmane ».
Ce n’est donc clairement pas par esprit d’ouverture à la modernité que le FN s’intéresse donc aux Homos, mais bien pour satisfaire l’objectif prioritaire, à savoir la lutte contre l’Islam d’Europe. Raison pour laquelle le FN reste réfractaire et farouchement opposé au PACS, au mariage gay ou encore à l’homoparentalité, position qui permet aux Marinistes et aux Gollnischistes de se retrouver sans ambigüité :
« La famille doit se fonder exclusivement sur l’union d’un homme et d’une femme et accueillir des enfants nés d’un père et d’une mère. Nous nous opposerons donc à toute demande de création d’un mariage homosexuel ou d’une adoption par des couples homosexuels ».
Un argumentaire des FNJ, rédigé par Antoine Mellies et intitulé : « LE MARIAGE HOMOSEXUEL, COMBAT DES LOBBIES, PAS DES HOMOSEXUELS », explique que les homosexuels ne sont pas même demandeurs de tels dispositifs, argument étayé brillamment par la position de deux pointures intellectuelles qui forcent le respect : Hervé Villard et Laurent Ruquier, cités comme étant « pourtant rouages éminent du Système ». Face à de tels arguments, il vaut mieux s’incliner…
A y regarder de plus près, il n’y a finalement guère de différence finalement entre le FN de papa et celui de 2012. Les positions restent conservatrices, portées sur les valeurs catholiques traditionnalistes, jetant l’opprobre sur les familles qui ne sont pas françaises de souche, remettant en question le droit fondamental qu’est la liberté de choix pour une femme d’avorter ou non, et remettant les gays si ce n’est à une clandestinité, pour le moins à un anonymat social, histoire de ne pas faire trop de bruit… à partir du moment où il partage l’anathème lancé sur l’islam d’Europe. Il n’est donc pas bien sûr que l’on puisse en déduire que le FN a réellement changé sur sa vision de la société…