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6 novembre 2011 7 06 /11 /novembre /2011 19:10

Les passages de Tariq Ramadan sur les plateaux télévisés sont assez rarement intéressants. Souvent on lui sert la soupière idéale, et le rhéteur de jouer les enjôleurs et de nous fournir un brouet que les animateurs, trop peu préparés pour ne pas dire plus, prennent pour un velouté exquis. Mais il arrive que les contradicteurs soient choisis avec davantage d’exigence et que de la joute sortent les petites pépites qui permettent de gratter sous le vernis si impeccable a priori. On se souvient notamment de la gifle infligée par celui qui deviendra Président de la République quand il fit dire au Genevois qu’il était pour un moratoire concernant la lapidation des femmes.

 

Tariq Ramadan le 26 août 2011 à Abidjan en Côte d'Ivoire (S. KAMBOU/AFP)

 Tariq Ramadan le 26 août 2011 à Abidjan en Côte d'Ivoire (S. KAMBOU/AFP)

 

Samedi soir, c’est Paul Amar qui avait prévu de le confronter à l'avocat Gilles-William Goldnadel. Mais l’invitation intervint avant l’attentat de mardi soir à l’encontre de "Charlie Hebdo". Et l’animateur de "Revu et corrigé" d’appeler Charb sur son plateau, de manière à débattre à trois sur l’islam, l’islamisme et la liberté d’expression. 

 

Savoureux moment qui permit de dévoiler, une fois de plus, le visage de Tariq Ramadan, celui qui prône pour un islam modéré côté face, et celui qui peut parfois approcher les rives obscures des Frères Musulmans, côté pile. La séquence débuta par l’attentat dont fut victime "Charlie Hebdo". Et d’écouter avec attention la position de Tariq Ramadan.

 

 

 

Il faut bien le reconnaître, Tariq Ramadan est un habile rhéteur. Avec quelle hardiesse parvient-il à dire quelque chose tout en faisant passer un tout autre message à ceux qui veulent bien l’entendre. Alors bien évidemment, Ramadan commence par condamner l’attentat "sans conditions". Mais il est intéressant de constater que cette condamnation attendue dure bien moins longtemps que ce qui va suivre, le "deuxième débat", dans l’émission originale avant montage. Et sur quoi est concentré le reste du discours ? L’humour de "Charlie Hebdo" qu’il estime exploité par des lâches animés par le mercantilisme.

 

Pour lui, l’hebdomadaire satirique céderait à de l’humour "discutable" pour taper sur l’islam parce que cela fait vendre. Mais contrairement à Boubakeur ou à l’UOIF, la condamnation de Ramadan n’est pas introduite dans le discours par une opposition comme la conjonction « mais ». Subtil et diabolique tour de passe-passe car la diatribe à l’encontre de l’humour de Charlie Hebdo est à la fois bien plus lourde dans la charge ("lâches",  "faire vendre"…) et tellement plus développée que la condamnation des attentats apparait davantage comme une concession à la dénonciation de "Charia Hebdo".


Et on le voit dans le montage, Ramadan est contraint de se défendre de pratiquer un double discours, tant personne sur le plateau n’est dupe de la partition qu’il a produite. Une partition faite en deux parties, faisant comprendre à ceux qui veulent bien l’entendre que la seconde importe davantage que la première.

 

Double discours

 

L’argumentation, ensuite, de Ramadan fait sourire, car elle rejoint en tous point celles des intégristes qui comprennent à mi-mots l’attentat, ou encore ceux qui, en authentiques lâches eux, se voilent sur le clavier dans l’anonymat d’un pseudo sur le net pour justifier un acte criminel. Finalement, on en arrive à penser deux choses : soit "Charlie Hebdo" l’a bien cherché. Soit son but était de faire de l’argent et que de ce point de vue, l’attentat sera rentable.

 

Et cette deuxième attaque, notable dans la partie liminaire du discours de Ramadan dans l’émission, devient subreptice en revenant de manière déguisée à la toute fin de l’émission quand Charb lui propose un abonnement et que Ramadan demande à ce qu’on lui offre en cadeau, au risque de comprendre que Charlie peut bien se le permettre…  

 

Enfin, on le voit, l’argument principal de Ramadan pour condamner les dessins de "Charlie Hebdo", reste la stigmatisation systématique et prioritaire de l’islam. Et quand on vient lui dire que l’hebdomadaire avait davantage stigmatisé le christianisme depuis vingt ans, l’argument qui permit en 2006 de gagner le procès des caricatures, Ramadan dit que ce n’est plus le cas depuis ces derniers temps. Ce qui est parfaitement contesté par Charb qui ajoute que les caricaturistes suivent l’actualité… et non pas les obsessions supposées de Tariq Ramadan. De l’hôpital qui se moque de la charia car s’il en est un qui a une obsession, c’est bien Monsieur Ramadan qui voit tel un mirage le spectre d’Israël en tous lieux :

 

 

 

On voit bien quelle est la seule chose qui anime Ramadan dans ce débat : ce n’est pas tant que le fait que le Christ soit plus ou moins raillé que Mahomet que le fait qu’Israël serait épargnée. Accusation stérile et on ne peut plus fantasmagorique. Ainsi Ramadan accuse "Charlie Hebdo" de ne pas s’être penché sur le cas de M. Goldnadel qu’il accuse de s’être opposé à la liberté d’expression des journalistes d’une grande chaîne publique française dans le traitement des événements survenus en Israël.

 

Une argumentation fragile

 

Et Charb démontre qu’il a déjà fait trois dessins sur la question, qui lui ont valu des menaces de procès par l’intéressé. Toute l’argumentation de Ramadan s’écroule. Sous nos yeux ébahis de voir tant de mauvaise foi ainsi mise à jour. Et Monsieur Ramadan ne s’en cache pas : peu importe la raison quand la haine de l’autre domine :

 


 

 

Comment dès lors accorder du crédit à sa vision si modérée de l’islam qui, à l’entendre, peut parfaitement s’accommoder de la démocratie, expliquant que la polarisation d’un affrontement manichéen entre laïques et islamistes était un piège et qu’il fallait privilégier une troisième voie.

 



 

Pour un peu on en oublierait le reste du débat. Et pourtant, il faut être vigilant car même lorsque les propos de Ramadan paraissent, enfin !, rassurants, le double discours rôde. Ainsi il s’intéresse au cas des femmes en expliquant qu’elles peuvent parfaitement rester musulmanes tout en s’ouvrant politiquement, économiquement et culturellement.

 

Une invitation aux antipodes de la femmes emmurée ou grillagée que l’on voit en Arabie Saoudite ou en Afghanistan. Mais tout en précisant : "rester musulmans et défendre les valeurs que nous chérissons". Mais de quelles valeurs Monsieur Ramadan parle-t-il ? Et surtout ces valeurs (musulmanes) sont-elles compatibles, voire supérieures aux valeurs de la démocratie quand elles diffèrent ? Ainsi grimer le prophète est illicite en islam et pourtant une des libertés fondamentales de la démocratie. Alors, qu’est-ce qui prévaut dans ce cas ? A cela Ramadan ne dit bien évidemment rien en plateau.

 

Car il est une constante dans le double discours : il faut toujours suggérer, superposer sans relier, ou ne dire que la moitié. De façon à ce que chacun comprenne ce qu’il veut bien entendre.

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Présentation

  • : Les Nouveaux Démocrates
  • : Enseignant et essayiste. Auteur de La Croix et la bannière sur la rhétorique des intégristes à propos du mariage pour tous (Golias, novembre 2012) et de Mariage pour tous vs Manif pour Tous (Golias, mai 2015) Auteur également d'articles sur Prochoix, la revue tenue par Fiammetta Venner et Caroline Fourest (n°57,58,59, 63 & 66) Ancien membre du Conseil national du MoDem et candidat aux Régionales 2010 et législatives 2012. Démission du MoDem en octobre 2012. Blog d’un militant du Mouvement Démocrate (MoDem).
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