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21 janvier 2011 5 21 /01 /janvier /2011 21:51

C’est donc aujourd’hui à 15 mois du scrutin que Jean-Luc Mélenchon a décidé de se lancer dans la bataille présidentielle. L’ancien sénateur PS fut encouragé par le bureau du PC dès mi-décembre, quand, officieusement, mais tout en prenant le soin de laisser fuiter l’information, ce dernier s’est résolu à le soutenir pour 2012, leur candidat naturel André Chassaigne ne pouvant, en si peu de temps, rattraper son déficit de notoriété. Le spectre d’une débâcle version 2007 (1,97 %), celui d’une troisième présidentielle consécutive sous le seuil fatidique du remboursement des frais de campagne et enfin la préparation des échéances futures, comme les législatives, qui à elles seules peuvent laisser en vie le grand malade PC sous perfusion (à raison de 1,63 euros par voix obtenue, de même qu’un groupe à l’assemblée et sa batterie d’avantages en termes de secrétariat et d’enveloppes diverses pour financer la communication) ont fait le reste.  

Jean-Luc Mélenchon n’aura donc pas attendu trop longtemps. Est-ce un hasard si cela intervient en pleine tourmente médiatique alors que Plantu l’a durement comparé à Marine Le Pen dans une caricature parue dans L'Express du 19 janvier 2011 ?

 melenchon-copie-1

Toujours est-il que dans la foulée de sa candidature, le leader du Front de gauche en a profité pour donner son accord pour une interview avec Marine Le Pen le… 14 février sur RMC. Le jour de la Saint Valentin. De quoi relancer les rumeurs sur l’idylle évoquée par Plantu sur le thème du populisme. Mais le débat sera surtout l’occasion d’effectuer un point… de rupture : « je vous remercie de tout cœur de me donner cette occasion d’entrer dans un débat qui va être nécessairement complexe, rude mais qui va enfin nous permettre de sortir de cette espèce de logorrhée sur les populismes mais qui arrange tellement les possédants. » a-t-il déclaré ce matin au micro de Jean-Jacques Bourdin

melenchonEn début de semaine, Mélenchon s’était autrement plus irrité dans un communiqué suite à la publication de l’Express : « Je dénonce l'odieux amalgame auquel se livre le dessinateur Jean Plantu (...) lorsqu'il me représente en uniforme et brassard lisant le même texte que Mme Le Pen et mettant dans ma bouche le slogan 'Tous pourris ! », s’offusquait alors Mélenchon mercredi. « Stupide politiquement, ce dessin amalgame deux programmes et traditions politiques diamétralement opposés. Blessant sur le plan humain puisqu'il nie mon identité et mes combats, il contribue à la confusion politique qui, sous prétexte de lutte contre le populisme prêche le maintien de l'ordre établi », précisait-il. « Jean Plantu ne fait plus réfléchir, il aveugle », assénait-il enfin en guise de conclusion.

Il est vrai que Plantu n’y est pas allé par quatre chemins : non seulement Mélenchon et Marine Le Pen sont mis sur un même pied d’égalité (position, geste, discours provenant d’une feuille commune), mais il faut aussi souligner toutes les allusions au fascisme qui dégoulinent de cette caricature à travers le brassard ou le poing levé.

On peut parfaitement se lamenter que Jean-Luc Mélenchon use des mêmes armes que Marine Le Pen en terme de rhétorique, en appelant au bon sens populaire, en mettant en pâture des exemples caricaturaux pour en faire des cas d’école, ou en faisant comme si l’Europe était le maux de tous nos problèmes. En un mot de céder à la tentation du populisme pour être populaire. Déjà l’Express l’avait mis devant le fait accompli en septembre dernier ; et Mélenchon avait assumé. Non sans cynisme : « Je n'ai plus du tout envie de me défendre de l'accusation de populisme. C'est le dégoût des élites - méritent-elles mieux ? Qu'ils s'en aillent tous ! J'en appelle à l'énergie du plus grand nombre contre la suffisance des privilégiés. Populiste, moi ? J'assume ! ».

Il n’empêche : peut-on les mettre dans le même sac, sous le seul prétexte que Mélenchon pratique la rhétorique de la terre brûlée quand il évoque l’intelligentsia politique, de la même manière que Marine LePen dénonce l’UMPS ? On se souvient que François Bayrou avait été taxé de « Le Pen light » quand il s’était, sans doute maladroitement, engagé dans une dénonciation de la dictature des sondages durant les Européennes. Cela revient-il à dire que celui qui s’oppose au système de pensée dominant, celui qui conteste la mainmise par la bipolarisation, doit subir l’étiquette du « tous pourris » et se voir rapprocher de s’approprier la rhétorique LePeniste ?

Pire : si le FN a toujours flirté non sans risques avec la pensée extrémiste, notamment concernant l’immigration, bien aidé par un leader qui a multiplié les calembours douteux jusqu’aux tentations négationnistes, peut-on affirmer sans vergogne que le discours de Mélenchon frôle les rives d’une quelconque dérive fascisante ? Sa dénonciation du capitalisme et surtout du néo-capitalisme est sans concession, jusqu’à l’outrage, mais jamais elle n’arrive à l’ostracisme voire à la haine de l’autre comme le FN s’évertue à le faire depuis plusieurs décennies.

A moins de considérer que le sort réservé par le FN aux Français issus de l’immigration soit semblable à celui que Mélenchon réserve aux riches, aux privilégiés, aux « possédants » ?

Il faut aussi se rappeler que Jean-Luc Mélenchon s’est toujours opposé à la vindicte populaire qui s’était abattue sur la classe politique après les affaires de cigares et d’appartements qui avaient secoué l’UMP l’an passé. Interrogé par Benoit Dusquesne sur le thème dans Complément d’enquête, il avait refusé de prendre le bâton tendu par le présentateur pour taper sur le train de vie des politiques. Ceux qui le croyaient alors poujadistes l’avaient écouté à leur dépens :

 

Il ne faudrait pas oublier qu’il y a une différence fondamentale entre le fond et la forme d’un discours. Si la rhétorique employée par Mélenchon est à s’y méprendre assez proche de celle qu’utilise Marine LePen, si leur point de vue peut se rejoindre sur l’euro et plus généralement sur le souveraineté de la France au sein de l’Europe, peut-on pour autant confondre les idéaux défendus par le Front de Gauche, héritage du communisme et de la branche anticapitaliste du PS avec les thèses frontistes, qui font des immigrés les boucs émissaires et la raison de tous nos maux ? Peut-on comparer la vision sans concession de la laïcité prônée par Mélenchon avec celle de Marine LePen qui la délimite là où commence seulement l’islam ? Peut-on comparer la vision libérale dans les mœurs de Mélenchon avec la vision ultra conservatrice de celle qui prône la peine de mort dans certains cas, et dont l’électorat (et le père !) s’est toujours singularisé dans ses combats contre l’avortement et l’homosexualité (même si Marine Le Pen tente de revenir timidement sur ces sujets, elle a récemment remis en question la gratuité de l’IVG par exemple) ?

marine-copie-1Et l’on peut même se poser une question dans laquelle on peut aussi intégrer Marine Le Pen : si certains usent et abusent d’une rhétorique populiste, est-ce seulement pour assouvir leurs visées électoralistes ou n’est-ce pas parce que le cirque médiatique ne donne la parole qu’aux mêmes personnes, qu’à cette prétendue seule alternative droite/gauche qui a pourtant montré depuis des années sa vacuité dans l’action et le caractère boisé de sa langue ? N’est-on pas tenté, voire sommé de faire « un coup » pour exister dans une société dirigée par ceux qui décident, parlent et pensent à votre place ? Mélenchon est critiqué pour avoir insulté des journalistes. Pour autant, n’a-t-on jamais autant parlé de lui ? Ne serait-ce pas là une réflexion à mener au-delà de la rhétorique « tous pourris » aux relents poujadistes qui n’aide en rien la vision politique du pays (mais le reproche pourrait être fait au Petit Journal et aux Guignols de l’info dans ce cas !) ?

Le jeu de mots sera jugé facile mais il est à l’image de la gratuité du raccourci fait par le caricaturiste : Plantu s’est planté. Durement. Et cela est d’autant plus regrettable que l’homme continue de faire rire et surtout de faire réfléchir. Sa responsabilité en est d’autant plus grande.

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Présentation

  • : Les Nouveaux Démocrates
  • : Enseignant et essayiste. Auteur de La Croix et la bannière sur la rhétorique des intégristes à propos du mariage pour tous (Golias, novembre 2012) et de Mariage pour tous vs Manif pour Tous (Golias, mai 2015) Auteur également d'articles sur Prochoix, la revue tenue par Fiammetta Venner et Caroline Fourest (n°57,58,59, 63 & 66) Ancien membre du Conseil national du MoDem et candidat aux Régionales 2010 et législatives 2012. Démission du MoDem en octobre 2012. Blog d’un militant du Mouvement Démocrate (MoDem).
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