Que reste-t-il des fabuleux espoirs nés en novembre 2010 après le départ de Ben Ali et le triomphe de la révolution ? Deux ans plus tard, les islamistes ont pris le pouvoir, et un de leurs opposants les plus vindicatifs,Chokri Belaïd, a été froidement assassiné cette semaine, instaurant un climat d’incertitude et de tensions extrêmes. Samedi, à peine 3000 manifestants pro-Ennahda ont défilé pour soutenir le gouvernement en place, et notamment le maintien des Ministres islamistes.
L’effet domino constaté au Maghreb et au Moyen-Orient a bien apporté la démocratie dans des pays étranglés par des dictatures, où la liberté des citoyens était circonscrite à la parole des dirigeants. Pour autant, une vision simpliste de la situation avait fait oublier que les islamistes, c’est-à-dire, puisqu’il faut à tout prix cesser avec les impropriétés liées à l’utilisation de ce terme, ceux qui instrumentalisent la religion, à savoir l’islam, à des fins politiques, étaient largement contenus par les dictatures en place. N’oublions pas, ainsi, que c’est Nasser, en Egypte qui interdit les Frères Musulmans dès 1954, craignant notamment pour sa vie.
Contrairement à ce que l’on a pu croire, bon nombre de pays arabes, bien qu’étreints dans des dictatures, avec une liberté limitée, ont vécu la fin du XXème siècle dans des Etats laïques. Mais pas une laïcité survenue comme en France après la sécularisation de l’Etat. Une laïcité contrainte, qui éreintait et traitait du même joug, les féministes ou les islamistes. Toute contestation au pouvoir était considérée comme un danger qu’il fallait éradiquer. Et ceux qui se revendiquaient de Dieu étaient, à ce titre, encore plus dangereux, pour le pouvoir des hommes.
Aussi, l’issue des printemps arabes était pour le moins prévisible. Dans ces états qui n’étaient toujours pas sécularisés, et qui n’avaient séparé loi et foi que par l’obligation, les islamistes ont presque réussi le grand chelem, s’engouffrant avec appétit dans les failles de la démocratie.
Beaucoup, en France ou ailleurs, continuent de regretter que la démocratie ait été donnée à des peuples « immatures », et qui n’étaient pas prêts à la recevoir. On peut le comprendre. Mais il faudrait ne pas refuser de voir la leçon que nous apportent ces révolutions à nos propres visions de la démocratie.
Oui, les révolutions arabes éclairent d’un jour nouveau cette idéologie, aveuglante, qui fait de la démocratie le nec plus ultra.
La démocratie n’aspire pas vers la vérité et l’égalité des citoyens : bien au contraire, elle ne fait que donner le pouvoir au plus majoritaire. Elle sert la majorité et fait fi des minorités, même si celle-ci se situe à 49%.
La République (à la française, s'entend) est infiniment plus ambitieuse : elle vise à corriger les inégalités autour de valeurs qu’elle a établies. C’est assurément plus subjectif, mais les risques de s’en remettre à la roulette russe s’amenuisent. Cela ne l’empêche pas de fonctionner avec des principes démocratiques, sans lesquelles toute liberté est impossible. Mais elle sait aussi, parfois, faire des choix qui ne plaisent pas au plus grand nombre mais qu’elle sait bénéfique pour le bien commun.
C’est ainsi qu’en France, on légiféra pour l’IVG en 1975, ou pour l’abolition de la peine de mort en 1981 malgré une opinion majoritairement défavorable.
Si la démocratie est un moyen de parvenir à la liberté et à l'égalité, elle n'est nullement une finalité en soi. Et à ce titre la République lui est largement supérieure : la seconde se fonde sur la première en lui imposant des valeurs pour le bien commun.
Alors que ceux qui, aujourd’hui, et notamment pour des sujets de société (suivez mon regard) dressent la démocratie comme l’arme absolue, le référendum comme la panacée, ou encore l’affluence de la rue comme une vérité absolue, n’oublient jamais qu’au XXIème siècle, les pires régimes totalitaires ne naissent pas d’un coup d’état mais bien par les urnes.
Publié le 11 février 2013 sur Médiavox.