La classe politique est impitoyable. Ceux qui tutoient les sommets pour exercer le pouvoir sont épiés dans leurs moindres gestes, leur moindre silence, pour être pris à la gorge, puisque notre pays a choisi le combat frontal et stérile du bipartisme. Ceux qui prennent du recul, le temps de la réflexion, à l’inverse, traversent le désert et n’existent plus aux yeux de ce monde-là.
Mais dès qu’ils reviennent, et que leur voix se fait entendre, voire se fait reprendre, en bref, dès q u’ils recommencent à compter, on leur saute à la gorge avec une frénésie qui dissimule mal la peur du danger…
François Bayrou a l’habitude de ces figures imposées. Et pour cause. Son entrée en politique ne date pas d’hier : il est devenu conseiller général à l’âge de 30 ans… il y a presque 30 ans justement… Aussi, des coups il en a pris. Des adversaires il en a connu. Et des polémiques il en a surmonté.
Mais depuis qu’il a décidé de son indépendance, il est un leitmotiv qui s’invite au débat politique qu’il entend porter. Comme une sorte de toc que ses adversaires prennent un malin plaisir à voir se manifester. Dès que François Bayrou occupe l’espace médiatique, dès que son discours séduit l’oreille, dès que son verbe chatoie une langue devenue universellement de bois, il voit ressurgir la réécriture de son passé, la sur-interprétation de ses positions, la mise en légende de son personnage. Et comme il fait peur, on efface l’impression du héros en quête de vérité pour le grimer grossièrement en ogre opportuniste. La fable est alors sommée d’endormir tout le monde.
En 2007, pointé à 24% dans les sondages, à quelques dixièmes de Ségolène Royal, il avait subi un acharnement méthodique rappelant qu’il avait toujours été à droite…
En 2008, Nicolas Domenach rappelait comment le Président était irrité par le Béarnais, et quelle énergie il déployait pour écraser ce moucheron qui lui empoisonnait la vie…
En 2009, alors qu’il perce à 14% d'intentions de vote lors des européennes, et que son livre Abus de pouvoirdevient un vrai phénomène de librairie, et une référence qui ne laisse planer plus aucun soupçon sur son rôle d’opposant à Nicolas Sarkozy, on l’attaque au bas de la ceinture sur ses croyances…
Aujourd’hui, en plein mois d’août, il sort un livre à valeur présidentielle. Pas un programme. Mais un engagement sous la forme d’un projet d’idées, qui tente de dire la vérité et d’apporter quelques directions qu’il estime capitales à la survie de notre pays. Il revient dans le jeu médiatique. Et l’on s’acharne, déjà, à réécrire sa biographie, avec raccourcis et mauvaise foi, pour tuer dans l’œuf tout emballement éventuel à l’heure où chacun peaufine encore sa peau dorée par le soleil.
Alors il faut faire preuve de pédagogie. Expliquer. Rappeler les faits. Évoquer la parole des hommes. Ces mots sans lesquels les actes sont manipulables à souhait.
François Bayrou est-il un homme de droite ? Son parcours en lui-même ne permet nullement de procéder à un tel raccourci. Participer à un gouvernement de droite ferait donc de vous un homme de droite ? Alors Françoise Giroud était de droite. Elle qui fut ministre sous la présidence de Giscard d’Estaing, elle qui appela à voter… François Mitterrand en 1974. De la même manière, Martin Hirsch, qui fut président d’Emmaüs France, est forcément un homme de droite, lui qui participa activement à l’ouverture orchestrée par Nicolas Sarkozy.
Et puis après tout, jouons de l’absurde : François Mitterrand lui-même n’a-t-il pas participé au gouvernement des secrétaires généraux voulu par le Général de Gaulle avant l’installation du gouvernement provisoire à Paris dès 1944 ? Il est assurément un homme de droite lui aussi…
Soyons sérieux. François Bayrou n’a toujours revendiqué qu’une seule étiquette : celle du centrisme.Qu’elle ait été baptisée CDS, FD, UDF ou bien encore MoDem.
Inutile de se mentir. Pendant plusieurs décennies, le centre claudiquait en ne marchant que d’une seule patte : celle de droite. Et certains en sont apparemment nostalgiques…
Pour autant, il faudrait tout de même rafraîchir la mémoire de ceux qui l’ont un peu trop sélective. Dès 2002, François Bayrou marque sa rupture avec l’ère Chirac. La raison de son ire : la création d’un parti unique, l’UMP, qui visait à absorber en son sein toute les sensibilités, pour les broyer, les centrifuger, en un smoothiecensé tout emporter sur son passage.
Dès 2004, les députés UDF quittent le groupe parlementaire de droite, le PPE, à Bruxelles. Alors que son opposition au gouvernement de Dominique de Villepin se fait de plus en plus pressant, François Bayrou concrétise l’indépendance de l’UDF, lors du congrès extraordinaire de Lyon, qui fit alors de l’UDF un "parti libre", quand Gilles de Robien en appelait à revenir à une alliance à droite. Et, cerise sur le gâteau, le 16 mai 2006, François Bayrou vote la motion de censure déposée par le groupe PS à l’Assemblée nationale à l’encontre du gouvernement de Villepin. Une première pour un député centriste.
Pourtant, de ces années de rupture, qui montrent et démontrent le changement de cap opéré par François Bayrou, ses opposants ne veulent rien en dire ou presque. Pire, ceux qui lui concèdent le mettent sur le compte de l’opportunisme. Mais qu’avait-il à gagner personnellement de cet isolement qui lui valut d’être abandonné par ses cadres ? On ne cesse de l’entendre comme si cela montrait son erreur, quand cela montre surtout le cynisme ambiant. Point de maroquin possible dans cette stratégie.
Alors, ceux qui glosent à n’en plus finir sur l’opportunisme en sont pour leurs frais : leur argument n’aura de force que s’il est répété à l’envi, en priant Coué par tous les Saints.
Leur reste alors de savonner la planche que le Béarnais s’est employé à découper contre vents et marées. Rappeler que la réforme de la loi Falloux lui valut un million de manifestants dans la rue. Certes. Mais occulter de dire que la réforme voulue par François Bayrou ne concernait que les bâtisses vétustes, et que depuis il a assumé ce qu’il considère être un quiproquo, en prenant sa part de responsabilité. Une rareté pourtant, ce mea culpa, chez les politiques.
Ses détracteurs répètent aussi qu’il "fait en effet partie de ceux qui ont toujours soutenu la construction de l'U.E. libérale"sous le prétexte qu’il a voté pour Maastricht et le traité de Lisbonne.Mais dans ce cas, combien d’hommes politiques français ont œuvré à cette construction "libérale" ? Étonnant comme les temps ont changé : jadis, on se cachait de ne pas avoir voté contre l’Europe en 1992. Aujourd’hui, on fait la chasse aux sorcières pour débusquer ceux qui ont toujours gardé le cap sur la question…
Les détracteurs de l’Europe ont beau jeu de crier au loup : il est toujours plus facile de pratiquer la politique de la terre brûlée en prenant l’Europe comme bouc-émissaire, plutôt que travailler pour corriger les défauts de celle qui, jusqu’à preuve du contraire, nous protège plus qu’elle nous asphyxie.
Dire que François Bayrou n’est pas légitime quand il parle de la dette, parce qu’il a participé au gouvernement Balladur en rappelant que pendant cette période (1993-1995) "le déficit a toujours été supérieur à 3% et la dette est passée de 46 à 55,5% du P.I.B". Et oubliant bien évidemment que le Béarnais n’y a pas été en qualité de ministre des Finances et/ou de l’Économie mais en qualité de ministre de l’Éducation, à une époque où la France traversait déjà, on l’a oublié, une des plus grandes crises économiques qu’elle ait eu à gérer en trente ans. Et puis c’est bien connu : on n’a rien à apprendre du passé, y compris éventuellement de ses erreurs, puisqu’on vous ressert des pages jaunies par le temps pour discréditer vos idées pour le futur.
Enfin et surtout, dénoncer l'alliance du MoDem avec le PS à Lille lors des municipales de 2008, quand le maire d’Arras fait la démarche inverse pour les sénatoriales à venir. Éreintante rengaine qui est ressortie à toutes les sauces et qui a tout du syllogisme. Tu fais alliance à gauche à Lille, tu fais alliance à droite ailleurs, alors tu es une girouette.
Dans ce monde manichéen du bipartisme, qui s’arroge toute la puissance du pouvoir du jeu des chaises musicales, dans cette fête éternelle où l’on est sûr d’être servi, puisque l’on déçoit à tous les coups, et que si l’on repart bredouille au local, on récupère le glaive au national, les Français sont aveugles. Et les borgnes sont les rois.
Mais notre système politique serait-il devenu à ce point stérile, vain et inutile qu’il est inenvisageable de considérer que l’on puisse avoir de bonnes idées, un bon programme même s’il l’on n’est pas du même bord politique ?
C’est étonnant comment ceux qui se revendiquent des valeurs républicaines, et qui savent parfois (pas toujours) s’associer pour lutter contre le FN, utilisent finalement des arguments de la même veine, pour accabler ceux qui refusent de voir perdurer la politique politicienne des batailles partisanes. Il faut choisir son camp. Coûte que coûte. Et l’on va reprocher au côté de la force obscure de mettre les Français les uns contre les autres ? Êtes-vous légitimes à faire la morale quand dans votre propre camp, celui des républicains, vous êtes incapables de reconnaître les qualités et le vrai, même quand il vous brûle la cornée ?
La plume de François Bayrou en appelle à la poésie d’Aragon pour raisonner ceux qui s’abreuvent dans l’encre noire du manichéisme, Styx du bipartisme : "Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat, fou qui songe à ses querelles au cœur du commun combat". Et de rappeler aux imprudents : "Cette bipolarisation, cette guerre des deux, porte en elle le crétinisme de la démagogie."
Quant aux impudents qui font des caricatures, et qui à propos d’autres en déduisent le dérisoire, ils montrent à coup sûr qu’une telle fougue dans le blâme cache mal la peur qui les ronge. Décidément, François Bayrou est un homme qui fait peur… Comme l’épée de Damoclès qui menace les certitudes des bien-pensants.