La campagne de François Hollande prend des allures de chemin de croix. Et semble atteinte du syndrome Merlène Ottey. Qui est Merlène Ottey, me direz-vous ? C’est une athlète d’origine jamaïcaine (aujourd’hui naturalisée slovène) qui avait le sobriquet de "reine de bronze" tant elle gagnait toutes les étapes intermédiaires, mais que l’émotivité la condamnait irrémédiablement à chaque grand championnat. Pour le PS, c’est soupe champenoise aux cantonales, régionales et municipales, mais soupe à la grimace pour la présidentielle… depuis 1995.
Manifestations d'enseignants, le 15 décembre 2011, à Paris (Sipa)
Aujourd’hui, les enseignants sont dans la rue. L’école, c’est habituellement la chasse gardée du PS. Parfois revendiquée avec une certaine arrogance quand, par exemple, Yves Durand et Jean-Marc Ayrault, députés PS, écrivent une tribune au "Monde" le 15 mai 2010, intitulée "Réveiller le désir d’école", qui fut ensuite envoyée aux professeurs en débutant par un stupéfiant : "Il existe un 'pacte séculaire' entre le projet socialiste et l’éducation"?
Le PS oublie la question de l'évaluation
Mais où est donc passé ce "pacte séculaire" aujourd’hui, 15 décembre, alors que les enseignants manifestent contre le projet d’évaluation dessiné par Luc Chatel ? Où sont les positions tranchées de François Hollande sur la question ? Les propositions ? On a entendu à l’envi les 60.000 postes créés, pour une somme variant suivant les jours et suivant surtout la bonne foi, de 2,5 à 7,5 milliards d’euros. Qu’en est-il de cette refonte de la mission des enseignants dont on nous parle tant, en guise de contrepartie, mais qui s’efface derrière les banderoles de ceux qui battent le pavé ?
La réalité c’est que le projet du PS ne prévoit rien sur l’évaluation des enseignants. Pire : il ne fait que préconiser la refonte de leur mission contre rétribution, ce qui, à écouter les débats de la primaire, revient à dire aux enseignants qu’ils travailleront davantage dans les établissements scolaires et que leur revalorisation se fera quand les finances le permettront. Autrement dit, travailler plus, pour ne pas gagner plus. Et de distiller dans l’esprit des citoyens que décidément les profs sont des glandeurs ! Ah il est beau le pacte séculaire entre l’école et le PS !
Attention, métier en évolution !
Pourtant, la question de l’évaluation des enseignants est capitale et fait justement partie intégrante de l’évolution du métier. Le diagnostique de Luc Chatel n’est pas faux : l’évolution actuelle est inique. Elle se passe à l’ancienneté, et le professeur est inspecté trois fois dans sa carrière. Pour autant, donner la charge d’évaluer les enseignants aux chefs d’établissements tous les trois ans, revient à calquer le système anglo-saxon, qui transforme le principal ou le proviseur en chef d’entreprise.
Or un chef d’établissement n’est pas un chef d’entreprise. Et ce pour une raison très simple : son expertise se limite à l’incitation de projet et à la gestion administrative des enseignants quand l’évaluation de ces derniers nécessitent également de parler discipline et pédagogie. Et en quoi un ancien CP ou professeur de SVT aurait une connaissance dans la manière de transmettre le savoir en anglais ou en mathématiques ? Cela n’a aucun sens.
Qui plus est, on distille dans l’esprit que le "meilleur professeur" est nécessairement celui qui travaille en équipe, qui participe à kyrielles de projet, qui accepte de faire des heures supplémentaires… Parce que les professeurs qui sont déjà soucieux de faire le travail dans leur classe, avec leur méthode, leur démarche, leur relation personnalisée avec les élèves et qui n’entrent pas forcément dans le moule du projet d’établissement sont nécessairement des professeurs inefficaces. On le voit, les clichés ne sont pas seulement là où on les pointe du doigt dans les médias ou les discours politiques.
Besoin urgent de pédagogie
La réalité c’est que le malaise provient dès le départ de la formation initiale qui oublie la dimension pédagogique : la création d’une épreuve sur dossier de didactique au Capes est une vaste fumisterie qui fait prendre des vessies pour des lanternes. Et qui n’évalue surtout en rien la capacité d’un professeur à adapter une pédagogie adéquate et à résister à une classe de 30 élèves dont 5 souffrent d’illettrisme.
Tant que des stages, plus nombreux, ne seront pas obligatoires et qu'un entretien professionnel, véritable cette fois-ci, avec plusieurs intervenants, ne viendra pas tester le candidat pour ne pas évaluer seulement son savoir universitaire mais ses motivations et sa capacité à gérer les futures situations (comme on le ferait dans n’importe quel profession), les dysfonctionnements perdureront.
La formation et l’évaluation sont liées et, à y regarder de plus près, le chef d’établissement n’a nulle incidence sur l’une ou l’autre. Et puis, finalement, à quoi servirait cette nouvelle évaluation ? Uniquement à fixer la rémunération ? Étrange application de la rétribution au "mérite" que l'on veut aveuglément appliquer à un professeur comme on le ferait à un camelot tentant de revendre sa marchandise.
Dans "2012, État d’Urgence", François Bayrou, ne disait pas autre chose. Pour lui, il doit y avoir une "étude systématique du travail accompli par les enseignants qui obtiennent les meilleurs résultats avec le même type d’élèves. Et le partage de leur démarche pédagogique". Toutefois, "l’évaluation ne doit pas être autre chose que la méthode pour repérer les pépites dans la mine d’or."
François Hollande lors d'une conférence de presse au salon de l'éducation à Paris le 27 novembre 2011 (F. Dufour/AFP)
S'engager
L’école n’a pas à être rentable ; elle n’a de priorité qu’à être efficace. Et la mutualisation des savoirs et des méthodes − encore faudrait-il donner les moyens, non pas l’argent, mais la liberté pédagogique pour que la transmission s’opère − n’a pas à devenir la corollaire de la rémunération. Sauf risque de voir un système plus corrompu qu’il ne l’est déjà.
Mais qu’en pense donc François Hollande ? Que préconise-t-il, lui ?
"Pour beaucoup d'enseignants, être évalués par le seul chef d'établissement (...) pose un problème. (...) Les enseignants veulent être évalués par des inspecteurs ou par des pairs qui sont de la même matière", a affirmé François Hollande. "Nous pourrons, avec la discussion avec les syndicats d'enseignants, trouver des formules plus originales, y compris collectives"
Moui. Très productif. Si ce n'est que, lorsque l'on est désigné par les sondages comme un des candidats les plus en vues, si ce n’est le favori, pour la présidentielle, l’on est en droit d’attendre de lui davantage de choses que ce lourd silence, car ce n'est rien dire qu'affirmer cela ou plus précisément se réfugier dans une politique de l’autruche, histoire de ne froisser personne... Ou presque !