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1 avril 2012 7 01 /04 /avril /2012 08:50

La tuerie de Toulouse ne laissera pas la France indemne. Au-delà de l’horreur des crimes perpétrés par le désormais tristement célèbre Mohamed Merah, il faut bien reconnaître que l'affaire marque, dans la présidentielle, un tournant que n’avaient fait qu’envisager les scénaristes de la série "Les Hommes de l’ombre" (puisque la piste islamiste n’est pas la bonne dans la série) et que Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy n’auraient pas imaginé en rêve. Le retour de leur marotte.

 

Face à deux candidats qui semblent se nourrir de ce choc des civilisations, à grands coups de déclarations, de petites phrases et de propositions les plus outrancières, il convient d’être nuancé. De faire la part des choses. Et, sans doute aussi, de laisser le temps faire son œuvre, car il n’y a aucun bénéfice à faire figure de prophète visionnaire qui aurait compris avant les autres les racines du mal. La seule priorité est d’approcher la vérité, quel que soit le temps que cela prendra.

 

En marge de la tournée de promotion du film dans lequel il partage l’affiche avec Alain Chabat, "Sur la piste du Marsupulami", Djamel Debbouze a cru bon de devoir s’exprimer sur le sujet, oubliant qu’un comédien n’avait pas toujours vocation à parler politique. Sa déclaration fut recueillie par les journalistes belges du quotidien "Le soir" :

 

"C'est terrible ce qu'on est en train de faire avec cette histoire de Toulouse. Au lieu de dire que Mohamed Merah est un marginal, que son acte est un acte isolé, on lui donne une idéologie qu'il n'avait pas au départ, c'est certain. Je les connais les Mohamed Merah, il y en a plein des Mohamed Merah mais qui ne deviennent pas des Mohamed Merah. Là, on est en train de mettre dans la tête de jeunes qui ont le potentiel de Mohamed Merah de devenir des Mohamed Merah."

 

Djamel Debbouze, le 05/01/2012. (BALTEL/SIPA)

 Djamel Debbouze, le 05/01/2012. (BALTEL/SIPA)

 

Puis l’acteur ajoute :  

 

"N'importe quel frustré est un malade potentiel. On le sait. N'importe qui peut basculer. Je me demande d'ailleurs comment le monde reste aussi équilibré. Les gens devraient être encore plus fous que ça. (...)  Un gamin instrumentalisé par la société - il est sorti frustré de prison ; on lui a dit non pour le service militaire ; on lui a dit non pour la Légion où, normalement, on accepte tout le monde) - exclu de la société, a tous les risques de basculer."

 

Sachant qu’il a ensuite confessé : "Je suis de gauche. Je vais voter François Hollande. C'est clair et net", il n’est pas bien sur que le candidat socialiste goûte ce soutien qui pourrait devenir quelque peu dérangeant…

 

Des accusations graves

 

L’analyse proposée par Djamel Debbouze a de quoi laisser songeur. D’autant qu’elle est fondée sur un paradoxe : d’un marginal, Merah devient le fruit des injustices de la société française qui ne demande qu’à se reproduire…

 

Mais au-delà de la contradiction que l’on mettra sur le compte de l’émotion mal maitrisée (mais quelle idée alors de laisser sa subjectivité s’épancher de la sorte dans la presse…), les accusations de Djamel Debbouze sont graves puisque l’origine du mal serait donc, selon lui, purement sociale et politique. Ce qui sous-entend que la France serait elle-même responsable de la situation. Que notre République aurait donc fini par payer, lourdement certes, mais logiquement, une politique d’exclusion.

 

On peut légitimement regretter les manquements de notre système à l’égard des quartiers et des périphéries. Mais on ne peut omettre par ailleurs que notre République sait aussi se montrer généreuse. Ne garantit-elle pas l’école gratuite pour tous ? Les ZEP,  même si les résultats ne sont pas à la hauteur des espoirs, ne tentent-elles pas de donner plus, là où il y a moins ? Et qui oserait nier, à moins d’être cynique ou aveugle, que notre système d’intégration, malgré d’incontestables ratés, fonctionne globalement bien ? Même si encore une fois, les discriminations sont réelles et ne doivent aucunement être minorées.

 

Et sans même s’attarder trop longuement sur ce champ politique, comme oser prétendre que ce sont les manquements de notre République qui pourraient expliquer pareil déséquilibre ? Comment oser prétendre que tout ceci est "explicable" ? Comment oser s’étonner qu’il n’y ait pas davantage de passage à l’acte ? La France nourrirait-elle en son ventre la vocation de ses propres assassins ? Et ne serait-ce pas aussi en partie comprendre l’acte de Mohamed Merah que de dire que tout ceci est "explicable" ?

 

La République jugée responsable

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les propos de Djamel Debbouze sont non seulement maladroits, amateurs, et de piètre consistance, mais ils sont aussi dangereux car la stigmatisation qu’il semble dénoncer est loin de s’atténuer à la lueur de ses propos : bien au contraire ils la renforcent.

 

Jeannette Bougrab, secrétaire d’Etat à la Jeunesse, n’a pas du tout apprécié la sortie de l’acteur d’"Indigènes". Le qualifiant d’"irresponsable", elle a livré au micro d’Europe 1 :  "Expliquer que la dureté de la société dans les quartiers fait que, après tout, il y a plein de Mohamed Merah, c'est grave. Déresponsabiliser les individus en leur disant "c'est normal, vous vivez dans telle ou telle partie du territoire", de la part de quelqu'un qui vit dans le 16ème arrondissement, c'est un peu gênant".

 

Alors on peut toujours se dire que Djamel a dérapé et qu’il a sorti ce qui lui passait par la tête sans prendre conscience de la teneur véritable que revêtaient ses propos. Il n’empêche, ils sonnent lourd dans un tel climat et surtout dérangent quand ils font écho à ceux d’une autre personnalité, autrement plus sulfureuse cette fois-ci : Tariq Ramadan.

 

Sur son blog, puis plus tard dans "Le Monde des religions", le rhéteur suisse a tenu à faire partager ses analyses de la situation. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ses propos détonnent. Reconnaissant que les actes de Merah sont inexcusables et que ses pensées vont aux familles des victimes, il enchaîne avec un raisonnement, certes plus fouillé, mais assez proche de la thèse de Djamel Debbouze, dont la péroraison résume parfaitement l’essentiel : "L’histoire de Mohamed Merah renvoit la France à son miroir : il finit jihadiste sans réelle conviction après avoir été un citoyen sans réelle dignité. Cela n’excuse rien, encore une fois, mais c’est bien là que se terre un enseignement crucial."

 

Et le petit fils du fondateur des Frères Musulmans de conclure :

 

"A Toulouse et Montauban, la France s’est effectivement retrouvée face à son miroir : cette crise a révélé, si besoin était, que les candidats ont cessé de faire de la politique, non pas seulement deux jours durant en hommage aux victimes, mais depuis bien des années.  (…) Mohamed Merah était un Français (dont le comportement était aussi éloigné du message du Coran que des textes de Voltaire) : Est-ce donc si difficile à concevoir et à admettre ? Cela fait donc si mal ? Tel est bien le problème français."

 

Avec quelle habilité Tariq Ramadan, dont le double discours n’est un secret pour personne, lui qui condamnait les attentats perpétrés contre Charlie Hebdo tout en sous entendant que l’hebdomadaire satirique l’avait bien cherché, pointe la seule responsable de la tuerie : la République de France elle-même !

 

Pour cet adepte du choc des civilisations, et qui du point de vue des moyens de parvenir à ses fins, rejoint la stratégie de ceux qui font de l’Islam un ennemi qu’il faut combattre, l’occasion était trop belle. Pourquoi dénoncer l’instrumentalisation de l’Islam, les camps organisés en Afghanistan ou au Pakistan, la radicalisation des certains littéralistes qui souillent les musulmans dans leur ensemble quand il est plus savoureux de condamner sans hésiter la France ?

 

Merah, victime de la société française ?

 

Comme il l’avait fait pour l’affaire de Charlie Hebdo, avec quel sournois cynisme, il use et abuse de la concession en reconnaissant que cet acte est affreux, tout en insistant lourdement sur la personnalité presque attachante de Mohamed Merah, en le décrivant comme "gentil", "d’humeur très joyeuse et festive", "un grand adolescent, un enfant, désœuvré, perdu, dont le cœur est, de l’avis de tous, affectueux"…

 

Merah a fait un acte abject, il le concède, mais il n’en fait pas le premier responsable : "un pauvre garçon, coupable et à condamner, sans l’ombre d’un doute, même s’il fut lui-même la victime d’un ordre social qui l’avait déjà condamné". Ramadan fait donc de Merah, autant qu’un coupable, une victime. Et son bourreau à un nom : la République française.

 

"Je suis la plaie et le couteau, la victime et le bourreau", écrivait Baudelaire dans un chiasme célèbre. Une formule qui à en croire Ramadan correspondrait assez bien à Mohamed Merah, l’homme qui a tué de sang froid trois militaires sur un terrain civil de même qu’un homme et trois enfants parce qu’ils avaient eu le mauvais destin d’être nés juif. Et un bourreau parce qu'il est avant tout victime de la République ! Ad nauseam.

 

Alors se pose la seule question qui vaille à la comparaison des deux analyses proposées : Djamel Debbouze donnerait-il raison à Tariq Ramadan, en faisant de Merah la victime du système français qui laisse à l’abandon tout une partie de la société ?

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  • : Les Nouveaux Démocrates
  • : Enseignant et essayiste. Auteur de La Croix et la bannière sur la rhétorique des intégristes à propos du mariage pour tous (Golias, novembre 2012) et de Mariage pour tous vs Manif pour Tous (Golias, mai 2015) Auteur également d'articles sur Prochoix, la revue tenue par Fiammetta Venner et Caroline Fourest (n°57,58,59, 63 & 66) Ancien membre du Conseil national du MoDem et candidat aux Régionales 2010 et législatives 2012. Démission du MoDem en octobre 2012. Blog d’un militant du Mouvement Démocrate (MoDem).
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